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Liya Petrova et Éric Le Sage au Festival de Musique de Menton

Sonates de Schumann, Prokofiev et Debussy

par Victoria Okada
Liya Petrova et Eric Le Sage, Festival de Musique de Menton ©

L’auditoire du 74e Festival de Musique de Menton est particulièrement privilégié. Nikolaï Lugansky, Jakub Josef Orlinski, Alexandre Kantorow, mais aussi des jeunes interprètes — Lucie Horsch (flûte à bec) et Théo Ould (accordéon), Alexander Malofeev (piano) — se sont succédé sur le parvis de la Basilique Saint-Michel ou dans le salon de Grande Bretagne du Palais de l’Europe. Liya Petrova et Éric Le Sage font partie de ces invités de haute volée. Ils ont offert une interprétation inspirante de trois sonates emblématiques.

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Un relief romantique

À la fin de l’après-midi du 4 août au Palais de l’Europe, le programme initialement annoncé (la sonate de Debussy, 1er Sonate de Prokofiev et la 2e de Brahms) a été légèrement modifié. L’œuvre de Brahms fut remplacée par la 1re Sonate de Schumann et l’ordre des pièces fut inversé.
Éric Le Sage donne à la Sonate en ré mineur de Schumann un relief romantique en toute liberté, confirmant sa réputation de schumannien. Ses doigts se glissent sur le clavier avec une étonnante fluidité, ses expressions sont naturelles et éloquentes. À ses côtés, Liya Petrova profite de l’acoustique généreuse de la salle et tire la meilleure sonorité de son instrument. Ensemble, ils mettent merveilleusement en avant le caractère de conte du 2e mouvement, tendre et bienveillant. Dans le final, dans un tempo assez allant, le piano ajoute une certaine brutalité, accentuant le côté sauvage, alors que l’archet devient extrêmement dynamique.

Des paysages intérieurs

Dans Prokofiev, dans une atmosphère angoissante, c’est la pudeur qui est mise de manière particulière. En effet, au lieu d’insister le caractère oppressant, les deux interprètent semblent explorer la psychologie humaine sous un contexte surréaliste. Ainsi, dans le 3e mouvement, ils réussissent à transmettre une détresse dans un apparent calme parfait, sous une « bonne » tension ; elle est « bonne » dans le sens où il y a une ambiguïté déconcertante. Des questions ne cessent alors d’apparaître à l’esprit : Où on va ? Peut-on passer cet instant ? Que se passera-t-il ensuite ? En contrepartie, les 2e et 4e mouvements sont énergiques, même agressifs parfois. Des rythmes acharnés et frénétiques sont crus, mais nos musiciens ne bloquent pas l’expression avec de simples effets spectaculaires. Ce qu’ils nous montrent, ce sont avant tout des paysages intérieurs, un esprit humain dans tous ses états. Très investis dans cette intériorité humaine, Liya Petrova et Eric Le Sage nous transportent dans un voyage musical où tous nos états d’âme peuvent se transformer en un art aux mains d’artistes de premier plan.

 

Liya Petrova et Eric Le Sage au Festival de Musique de Menton 2023 © Victoria Okada

Liya Petrova et Eric Le Sage au Palais de l’Europe, Festival de Musique de Menton, 4 août 2023 © Victoria Okada

 

L’art de conjuguer des oppositions

Les couleurs subtiles et changeantes de la musique de Debussy peuvent montrer des aspects beaucoup plus fermes et vivifiants. Petrova et Le Sage semblent affirmer ainsi en interprétant la Sonate de Debussy. Les tempi et les humeurs sont certes oscillants, mais pas insaisissables, les phrasés de la violoniste sont bien articulés, clairement menés. Elle sait d’ailleurs associer avec bonheur la souplesse et la fermeté, la fluidité et la consistance. Tout au long de l’œuvre, son archet produit une sonorité ambrée finement nuancée selon les moments. Éric Le Sage lui répond avec une largeur dans la construction, tout en s’attachant à des subtilités debussystes infiniment délicate. La violoniste et le pianiste proposent ainsi l’art de conjuguer des oppositions, et leur art offre à cette Sonate une vaste terrain d’exploration originale.

À travers le final de la Sonate de Franck donné en bis, ils racontent une histoire, un conte, comme ils l’ont fait dans Schumann au début de la soirée. Ils bouclent le boucle, ce qui sert une belle conclusion à la série des Concerts au Palais.

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Programme

Sergueï Prokofiev : Sonate pour violon et piano n°1 en fa mineur, op.80
Robert Schumann : Sonate pour violon et piano n°1 en la mineur, op.105
Claude Debussy : Sonate n°3 pour violon et piano en sol mineur
Liya Petrova  (Violon)
Eric Le Sage (Piano)

Vendredi 4 août 2023 à 18h00, Palais de l’Europe, Menton dans le cadre du Festival de Musique de Menton

Photo de la une © Christian Merle

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