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Sonia Yoncheva dans la peau de Marie-Antoinette

Les Arts Florissants donnent un programme sur le thème de la célèbre reine de France

par Victoria Okada
Sonia Yoncheva, Les Arts Florisants, William Christie

Une soirée très attendue à la Philharmonie de Paris : Sonia Yoncheva retrouve Les Arts Florissants sous la direction de William Christie. Avec le programme Marie-Antoinette, la cantatrice rend hommage à la reine de France, fauchée par le destin. Le programme se veut à la fois intime et théâtral. Une mise en espace suggère un échange entre la souveraine et son maître de musique, dans l’atmosphère feutrée de son salon.

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Dès son arrivée sur scène, Sonia Yoncheva salue le public d’un geste de la main, avec un grand sourire. Ce signe interpelle d’emblée : joue-t-elle la diva elle-même ou s’agit-il d’une mise en scène ? Ne l’ayant jamais vue en récital (mais seulement à l’opéra), son attitude m’intrigue. Pourtant, quelque chose me dit qu’il s’agit plutôt de la première option. Par la suite, elle s’adressera au public de la même manière à chaque entrée et sortie de scène. Pour ses admirateurs, cette communication avec leur diva est un privilège. Pour les autres, c’est un spectacle pittoresque. Mais après tout, ce sont ces interactions qui font aussi vivre les concerts. Soit, donc !

Les musiciens des Arts Florissants adoptent une configuration symphonique, mettant particulièrement en valeur les pupitres des bois et des cuivres. Si on les a souvent entendus dans cet effectif dans la fosse des maisons d’opéra, il est plus rare de les voir ainsi installés sur scène pour un concert, en dehors d’une représentation scénique ou d’une version de concert d’opéra. On pense notamment au Beggar’s Opera, où les musiciens étaient intégrés à la mise en scène, ce qui était une réelle réussite.

 

Sonia Yoncheva, Les Arts Florisants, William Christie

Sonia Yoncheva, Les Arts Florisants, William Christie. Philharmonie de Paris, 1er novembre 2024 7 © Vincent Pontet

 

Le fil dramatique du destin de la Reine

Le programme se déploie — vaguement — comme une chronique musicale du destin de Marie-Antoinette. Dès le début du concert, une annonce invite les spectateurs à réserver leurs applaudissements pour la fin, afin de ne pas interrompre le fil narratif.

Le concert s’ouvre sur l’ouverture de La finta giardiniera de Mozart. Lors de la création de cet opéra en 1775, son auteur n’avait pas encore vingt ans. Ce choix fait-il écho à l’anecdote, lointaine mais célèbre, selon laquelle l’enfant prodige aurait demandé en mariage la future reine de France à la cour d’Autriche ? L’interprétation reflète à la fois la gaieté d’un adolescent et le plaisir évident des musiciens à jouer cette musique vive et enlevée.

Dans le « Ballet des Ombres heureuses », extrait d’Orphée et Eurydice de Gluck, une délicate mélodie de flûte berce l’auditoire dans une atmosphère douce et élégiaque. À l’inverse, les « Danses des Furies » prennent un tour dramatique : la puissance des cuivres accentue la tension et l’horreur des Enfers, soulignant non seulement le caractère bouleversant de l’œuvre, mais aussi l’évocation d’événements tragiques dans la vie de la souveraine.

La première partie s’achève avec « Ô malheureuse Iphigénie » (Iphigénie en Tauride de Gluck) et « Non, ce n’est plus pour moi » (Didon de Piccinni), reflétant le bouleversement qui s’abat sur son destin.

 

Sonia Yoncheva, Les Arts Florisants, William Christie

Sonia Yoncheva, Les Arts Florisants, William Christie. Philharmonie de Paris, 1er novembre 2024 2 © Vincent Pontet

 

Dans cette première section, Gluck, qui fut le professeur de musique de la future reine, domine musicalement aux côtés de Mozart. Cette tendance s’inverse dans la seconde partie.

 

Une deuxième partie mise en espace

La seconde partie s’ouvre sur une mise en espace évoquant le salon de musique de la reine, où résonnent des mélodies et chansons plus légères, comme celles de Chardin, accompagnées par la harpe, ou encore le célèbre Plaisir d’amour de Martini, arrangé pour cordes. Un échange s’installe entre la « reine » Yoncheva et son maître de musique, William Christie, qui se prête volontiers au jeu, créant une atmosphère intime. Yoncheva brille ici par une excellente diction du français, sans doute héritée de sa formation au Jardin des Voix, renforcée par une sensibilité théâtrale aiguisée.

Vers la fin de la soirée, on entend la « Chaconne » d’Armide de Gluck et la « PassacaillepourMonsieur Antoine » d’Idoménée de Mozart, suivies respectivement par « Ah !! Si la liberté me doit être ravie » (Armide) et « Ecco il punto, o Vitellia ! … Non più di fiori » (La Clémence de Titus). Prenant une ampleur orchestrale presque symphonique, ces extraits révèlent une grandeur où la voix de Yoncheva trouve un écho puissant dans l’orchestre. Ainsi, au fil de la soirée, tous les instruments gagnent en intensité et en nuances, en parfaite harmonie avec l’essence dramatique du programme.

 

Sonia Yoncheva, Les Arts Florisants, William Christie

Sonia Yoncheva, Les Arts Florisants, William Christie. Philharmonie de Paris, 1er novembre 2024 3 © Vincent Pontet

 

Une complicité musicale entre Yoncheva et Christie

Sur scène, la complicité entre Sonia Yoncheva et William Christie est palpable. À plusieurs reprises, leurs regards se croisent, comme pour valider une intention musicale, en quête d’une harmonie parfaite. Cette entente donne naissance à une interprétation vivante et spontanée. Yoncheva et Christie semblent réinventer les pièces sous les yeux du public, dans un dialogue créatif en perpétuelle évolution.

En guise de bis, deux chansons de Chardin et Martini offrent un dernier instant de grâce. William Christie s’assoit, laissant Yoncheva incarner une Marie-Antoinette fragile et humaine. Le public, plongé dans ce voyage musical, applaudit longuement, ému par ce moment suspendu.

Ce concert « Marie-Antoinette » fut bien plus qu’une simple prestation musicale : un hommage à la reine et à la femme, une plongée dans la théâtralité des événements historiques, portée par des artistes heureux de se retrouver et d’interpréter ensemble ce programme unique.

 

Sonia Yoncheva, Les Arts Florisants, William Christie

Sonia Yoncheva, Les Arts Florisants, William Christie. Philharmonie de Paris, 1er novembre 2024 6 © Vincent Pontet

 

Programme

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
La finta giardiniera [La Fausse Jardinière] : Ouverture

Christoph Willibald Gluck (1714-1787)
Alceste : « Divinités du Styx »
Orphée et Eurydice : Ballet des Ombres heureuses

Luigi Cherubini (1760-1842)
Médée : « Vous voyez de vos fils la mère infortunée »

Christoph Willibald Gluck
Orphée et Eurydice : Danse des Furies Iphigénie en Tauride: «Ô malheureuse Iphigénie»

Niccolò Piccinni (1728-1800)
Didon : « Non, ce n’est plus pour moi »

Louis-Claude-Armand Chardin (1755-1793)
C’est mon ami – arrangement de l’accompagnement pour cordes

Johann Paul Aegidius Martini (1741-1816)
Plaisir d’amour – orchestration Hector Berlioz

Wolfgang Amadeus Mozart
Idoménée : Larghetto pour Madame Hartig Luigi Cherubini
Démophoon : « Ah ! Peut-être mes dieux ! »

Christoph Willibald Gluck
Armide : Chaconne
Armide : « Ah ! Si la liberté me doit être ravie »

Wolfgang Amadeus Mozart
Idoménée : Passacaille pour Monsieur Antoine
La Clémence de Titus : « Ecco il punto, o Vitellia ! … Non più di fiori »

 

Les Arts Florissants ; William Christie, direction ; Sonya Yoncheva, soprano

1er novembre 2024, Philharmonie de Paris

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