Le Festival de Musique de Menton a clôturé sa 74e édition avec le pianiste Alexandre Kantorow et l’Orchestre Sinfonia Varsovia sous la direction de Aziz Shokhakimov, sur le Parvis de la Basilique Saint-Michel archange. Ce concert donné au guichet fermé confirme l’excellence et le dynamisme de l’événement estival mentonnais.
*****
Il est presque 21h30, l’heure du début du concert. Mais sur le parvis de la basilique Saint-Michel l’Archange, de nombreux festivaliers tardent à gagner leurs places, pris par les contrôles de sac toujours en vigueur. Le directeur artistique du Festival de Musique de Menton, Paul-Emmanuel Thomas, lance, avec une dizaine de minutes de retard, le discours du maire qui se réjouit du succès de l’événement. En effet, la fréquentation a augmenté de plus de 15 %.
Le dernier concert de l’édition 2013 est assuré par un habitué du Festival : Alexandre Kantorow. Depuis 2018, il est venu à quatre reprises, d’abord en tant que jeune interprète prometteur, puis en star acclamée, propulsé par la consécration suprême au concours de Moscou. Son interprétation, à chaque fois investie comme jamais, ne cesse de révéler son talent de constructeur méticuleux complété par sa spontanéité ingénieuse.
Aziz Shokhakimov et Orchestre Sinfonia Varsovia
Depuis quelques années, le Sinfonia Varsovia connaît des jours heureux avec le chef ouzbek Aziz Shokhakimov qui le dirige régulièrement. Pour ce dernier concert du Festival, ils concoctent un programme dansant avec les Six Danses populaires roumaines de Bartók et la Septième Symphonie de Beethoven. Le chef donne aux Six Danses une bonne épaisseur par rapport aux versions de piano et de musique de chambre. Leur caractère populaire se marie avec des jeux de timbres colorés et joviaux entre différents instruments qui se tissent étroitement. Quant à la Symphonie de Beethoven, chaque mouvement est dominé par un tempo allant, parfois très rapide. Ainsi, le finale semble passer à une vitesse de lumière mais tout tient sans encombre, signe de leur confiance mutuelle. La vitalité du chef se connecte avec celle des musiciens et se reflète dans l’interprétation dynamique, particulièrement appréciable dans Beethoven. En bis, ils redonnent quelques extraits de Danses populaires, pour terminer la fête estivale dans la joie.
La lumière dans les ténèbres
Mais revenons au Concerto pur piano n° 4 de Beethoven, joué avant l’entracte. Dès les premiers accords qui précèdent l’orchestre, une incroyable douceur se répand, dans une sonorité limpide et chaleureuse de l’instrument, du dernier modèle de Yamaha CFX. Il profite de ses aigus légers et aérés dans des passages rapides du premier mouvement. Cette légèreté est renforcée par sa maîtrise des pédales, souvent discrètes et toujours complètement et ingénieusement intégrées dans chaque phrasé. Avec ce jeu perlé, on dirait qu’il joue d’un pianoforte. Le mouvement lent est traversé par une constante interrogation, par de doux tourments. Des motifs fragmentaires en récitatif sonnent comme une confession de la fragilité humaine. Mais la force intérieure est plus puissante que les tracas extérieurs, la douceur de l’âme est plus grande que l’oppression : à moment donné, le pianissimo du clavier perce les tutti d’orchestre joué en double forte, comme les fines lueurs de la lune percent les ténèbres… Et le son du piano qui paraît frêle ne l’est pourtant aucunement, on sent une conviction, une foi en cette force intérieure. C’est certainement pourquoi, ici, le son est plus rond, plus irradiant. Une beauté céleste, presque miraculeuse. Puis, changement total d’atmosphère : le finale est enjoué et rieur, pétillant et sémillant, dans une élégance naturelle.
La complicité évidente entre le soliste, le chef et l’orchestre crée une vision contrastée et picturale, dans un romantisme affirmé parsemé d’épisodes.
Voilà un bouquet final somptueux pour le 74e Festival de Musique de Menton.
La lune orange
La beauté du lieu en lui-même est une chose, et la nature qui l’entoure en est une autre. Cette nuit-là, l’enclos d’anciennes pierres colorées ouvert par un côté à la mer Méditerranée, offre un spectacle sublime : le lever de la lune au-dessus de la mer. Dans la deuxième partie du concert, pendant la Symphonie n° 7 de Beethoven, on voit une immense lune surgir de l’horizon d’ébène. Sa couleur tirée légèrement vers le rouge est mystérieuse, elle évoque quelque chose d’organique comme le jaune d’œuf vu à travers la coquille, contre une puissante lumière. Il suit sa trajectoire et les vagues paisibles de la mer font miroiter sa traînée lumineuse de plus en plus longue. Tel une coiffe de mariée avec son voile, cette lune vient couronner la musique. C’est un beau cadeau au Festival, comme une bonne augure de sa 75e édition — trois quarts de siècle d’existence !
Programme :
L. v. Beethoven : 7e Symphonie en La majeur, op.92
B. Bartok : Six danses populaires roumaines, Sz.56
L. v. Beethoven : Concerto n°4 en Sol majeur, op.58
Alexandre Kantorow, Piano
Orchestre Sinfonia Varsovia
Aziz Shokhakimov, Direction
Samedi 5 août 2023 – 21h30
Parvis de la Basilique Saint-Michel archange
Le Festival donne rendez-vous pour son « After », les 9 et 10 septembre prochains, avec David Fray, Philippe Bianconi et le Trio Goldberg.