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Madoka Fukami, une force naturelle de la musique

un programme franco-japonais des XXe et XXIe siècle

par Victoria Okada
Madoka Fukami

Le 26 novembre dernier à la Salle Cortot, la pianiste japonaise Madoka Fukami fait preuve de son incroyable maîtrise pianistique et de son art de subtilité dans un programme franco-japonais des XXe et XXIe siècle.

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Justesse

Son immense répertoire qui sort du commun et son jeu sensible, ainsi que son excellence dans la musique française au tournant des XIXe XXe siècles est incontestable, font de Madoka Fukami une musicienne exceptionnelle. Lors d’un récital à l’Auditorium du Musée d’Orsay en 2015, elle a interprété les 12 Études de Debussy mises en miroir avec deux Bach, Jean Sebastian et Carl Philip Emanuel. Le souvenir de cette soirée est encore vif. Tout au long des douze pièces de Claude Debussy, nous étions subjugués par la justesse des propos, notamment dans le rythme et le tempo, ainsi que par des nuances subtiles glissées ça et là dans les « études » qui ont leur propres rigueur. Dans les pièces baroque, la sonorité aérienne de la pianiste évoquait assurément celle du clavecin. La différence, entre ces deux répertoires, du son même du piano qu’elle parvient à produire était flagrante et nous en étions admiratifs.

 

Madoka Fukami ors du Concours Ferruccio Busoni en 2017

Madoka Fukami ors du Concours Ferruccio Busoni en 2017 où elle a été finalistes © capture du site Ferruccio Busoni competition

 

Connaissance, compréhension et amour pour la musique

En jetant un coup d’œil sur le programme de la présente soirée, on perçoit qu’elle possède l’art de composer un programme. Les pièces choisies font transparaître son amour pour la musique française et celle de son pays, ainsi que sa connaissance et sa compréhension du répertoire.
Le récital commence par « En vue de la ville », extraite des Heures persanes op. 65 de Charles Koechlin. Elle captive immédiatement par sa sonorité limpide et son sens de phrasé. Suivent deux pièces contemporaines, Ommaggio d’Eric Tanguy en hommage à Henri Dutilleux (2010) et Miroir of Stars d’Akira Nishimura (1992). Dans cette dernière pièce lente et contemplative, Fukami crée d’intéressants effets sympathiques avec les trilles en double forte, pour laisser entendre miraculeusement un silence entre un masse de notes. Une image nous vient alors à l’esprit, celle du rayon scintillant du soleil qui perce des feuilles d’arbres d’une forêt épaisse…

Scintillement

Ce scintillement est également présent dans l’interprétation des trois pièces qui constituent Pour le Piano de Debussy : l’élan juvénile du « Prélude », le caractère mystérieux de « Sarabande » et la flamboyante « Toccata ». Des jeux déterminés dans la première et la dernière pièces cadrent la finesse de la danse lente, dont elle nous chuchote les harmonies aux oreilles. Et nos oreilles entendent même les harmoniques de ces accords… Ainsi peut-on dire qu’elle joue avec l’atmosphère qui émane des notes et qui les entourent au retour.
Dans cette première partie, une caractéristique se dégage son interprétation : selon les pièces, elle peut varier des registres et des intensité sonores de l’instrument, mais la clarté du son reste indéniablement, rendant le discours intelligible.

Ensuite, les invités de la soirée, le pianiste Johan Farjot et l’altiste Arnaud Thorette entrent sur scène pour Tenebrae (2005) de Philippe Hersant. Le compositeur monte sur scène et prend la parole pour commenter ces compositions : l’œuvre cite des références du passé, en l’occurrence Haydn et des chants médiévaux. Pendant une dizaine de minutes, l’alto évolue sur différentes formes d’arpèges au piano, passant de musique sombre à celle lumineuse.

 

Arnaud Thorette et Johan Farjot, Salle Cortot, 26 novembre 2023

Arnaud Thorette et Johan Farjot, invités du récital © Victoria Okada

 

Silence

Retour de Madoka Fukami, avec un autre compositeur japonais, emblématique et prolifique : Shin’ichiro Ikebe (1943-). Ses deux Ascension pour piano (1974) explorent de nombreuses techniques particulières, par exemple, enfoncer des touches du clavier sans faire sonner et donner des résonances en tapant sur le cadre du piano, ou utiliser des pédales comme des percussions. La notion de percussion est très présente dans cette partition jusqu’à frapper un gong-cloche placé sur les cordes, pour offrir un sentiment d’évasion ou d’élévation. Le son métallique scintille alors dans le piano… L’exécution de cette pièce requiert une grande virtuosité et surtout une concentration, dont Madoka Fukami est un exemple brillant, car elle joue tout par cœur, comme toutes les autres pièces du programme — sauf la création de Hersant à la fin du récital.

Force naturelle

Dans la Sonatine de Maurice Ravel, les mouvements de ses doigts et de ses mains épousent parfaitement les phrasés. Rien ne va à l’encontre du flux musical, rien n’est donc forcé. Cette fois, la musique scintille avec délicatesse. Les trois mouvements de la Sonatine sont mis en miroir avec les Trois Esquisses japonaises de Hersant (2009), portant les noms de trois lieux historiques de la région du Kansai (autour d’Osaka), « Suma », « Nara » et « Yamato ». La géniale idée de mise en parallèle entre Ravel et Hersant est l’un des moments les plus brillants de cette soirée.
La dernière pièce de la soirée est Paradise Lost, que Hersant a composée en 2020 mais donné seulement ce soir en création mondial. L’œuvre à la mémoire d’Olivier Greif, portant le titre qui reprend celui du poème épique de John Milton, a dû être donnée dans un festival qui a été annulé pendant la pandémie. La musique, dans un grand crescendo puis de decrescendo, est toujours joncée de citations, de Grief mais aussi d’allusions de musiques que les deux compositeurs évoquaient dans de nombreuses discussions. C’est la seule pièce que Madoka Fukami a eu recours à sa tablette, « pour s’assurer de la meilleure interprétation possible », selon les mots que nous a confiés la pianiste après le concert. Son interprétation est extrêmement soignée, à la fois dynamique, extravertie et douce, à travers laquelle on sent plus que jamais un respect pour la musique.
Madoka Fukami ne force jamais. C’est son regard et son écoute sincères vis-à-vis de la musique qui lui confèrent une force, naturelle.

 

Madoka Fukami et Philippe Hersant à la Salle Cortot, le 26 novembre 2023

Madoka Fukami et Philippe Hersant à la Salle Cortot, le 26 novembre 2023 © Victoria Okada

 

Programme

Charles Koechlin, En vue de la ville – extrait de : Les Heures persanes op. 65
Eric Tanguy, Omaggio – Hommage à Henri Dutilleux – (2010)
Claude Debussy, Pour le Piano : 1. Prélude, 2. Sarabande, 3. Toccata
Akira Nishimura, Miroir of Stars (Miroir Etoilée) (1992)
Philippe Hersant, Tenebrae (2005)
Shinichiro Ikebe, Ascension pour Piano N°1, N°2 (1974)
Maurice Ravel, Sonatine : 1. Modéré, 2. Mouvement de Menuet, 3. Animé
Philippe Hersant, Trois Esquisses Japonaises : 1. Suma 2. Nara 3. Yamato (2009)
Philippe Hersant, Paradise Lost (2020) (Création mondiale)

Madoka Fukami, piano; Johan Farjot, piano ; Arnaud Thorette, alto

26 novembre 2023 à 20h, Salle Cortot.
Ce récital a été soutenu par Fondation de la Musique avant Toute Chose

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