Créé par Jean-Claude Casadesus et l’Orchestre national de Lille, Lille Piano(s) Festival a fêté sa 20e édition du 9 au 11 juin dernier. Cette année, outre la thématique de Chopin, le Festival ouvre davantage le répertoire de l’électro. Un carillon s’ajoute à la grande famille de clavier, alors que l’Orchestre de Picardie et l’Orchestre Symphonique d’Anvers ponctuent la festivité aux côtés de l’Orchestre national de Lille. Nous avons assisté, le dimanche 11 juin, deux concerts exceptionnels : l’un, de Geister Duo dans l’après-midi, et l’autre, avec Bertrand Chamayou, pour clôturer la festivité.
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Geister Duo dans un programme Schubert-Schumann-Chopin
Geister Duo est actuellement l’un des duos de piano les plus en vue. Depuis leurs Premier Prix au Concours de l’ARD Munich, David Salmon et Manuel Vieillard ne cessent d’élargir leur répertoire tout en défendant des grands classiques pour quatre mains et pour deux pianos. Le programme proposé le 11 juin au Conservatoire de Lille reflète ses deux caractéristiques dans un programme consacré à Schubert (Rondo en ré majeur D. 608, 4 Polonaises D. 599, Fantaisie en fa mineur D. 940), Schumann (Andante et variations pour 2 pianos op. 46) et Chopin (Rondo en do majeur op. 73). Pour les deux premières œuvres de Schubert, nos pianistes mettent accent sur le caractère dansant, notamment avec une belle touche de lyrisme dans la deuxième Polonaise. La célèbre Fantaisie se déroule sous le signe de la fluidité ; aucun statisme dans le thème principal. Cette musicalité rend l’écoute extrêmement aisée, d’autant que l’alternance de lent-rapide et léger-grave est ingénieusement contrastée. Ils confèrent une dimension symphonique à la pièce de Schumann et plus d’épaisseur dans la résonance, alors que leur interprétation plus que convaincante du Rondo de Chopin nous interroge : pourquoi cette partition est si rarement jouée. En bis, un extrait des Images d’Orient de Schumann, une autre composition méconnue.
Concert de clôture avec l’Orchestre Symphonique d’Anvers et Bertrand Chamayou sous la direction de Elim Chan
Ce concert de clôture résume l’excellence de la manifestation. D’abord, l’Orchestre symphonique d’Anvers (Antwerp Symphony Orchestra) fait preuve d’un dynamisme réjouissant, avec de très belle sonorité vivante et colorée. Les cordes sont denses, massives et aérées à la fois, alors que les harmonies jouent toujours justes, non seulement pour la hauteur des notes mais aussi pour le dosage sonore. Entre ces deux sections, un très bel équilibre offre une alchimie subtile à chacune des trois œuvres programmées ce soir : Ouverture de Rouslan et Ludmila de Glinka, le Concerto pour piano de Scriabine et la Cappricio espagnole de Rimsky-Korsakov. La baguette méticuleuse et inventive de Elim Chan met en évidence toutes les qualités de l’orchestre et de l’œuvre. De gestes amples mais précis, elle insuffle la vie à chaque note. Ainsi, la musique respire, devient une entité organique vivifiante, et le public respire au rythme d’épisodes musicaux qui se déroulent comme des rouleaux d’images qui se balance idéalement entre le populaire et le savant.
Le Concerto pour piano de Scriabine s’envole dans une sphère stratosphérique
Mais le clou de cette soirée est sans conteste le Concerto pour piano de Scriabine interprété par Bertrand Chamayou. Œuvre de jeunesse qui date de 1896 (Scriabine avait 24 ans), cet opus 20 évoque Chopin et Rachmaninov ingénieusement entremêlés, avec quelques brins de wagnérisme auquel tous les jeunes compositeurs ambitieux de l’époque n’auraient pas pu échapper. Extrêmement virtuose et difficile à mettre en place avec l’orchestre, la pièce, somptueuse, fait un tour complet de toutes les caractéristiques pianistiques — douceur, passion, exubérance, méditation, lyrisme, fermeté, simplicité… et ce, dans un romantisme exprimé sans aucun excès sous les doigts de notre pianiste. Grâce à sa technique infaillible et son intelligence constructive, Chamayou fait goûter au public la quintessence de ce concerto périlleux, avec une facilité d’exécution toujours stupéfiante. Il fait ainsi envoler l’œuvre dans une sphère stratosphérique. Si on apprend que la veille au soir, il a donné les Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus de Messiaen en un seul récital, on mesure les moyens surhumains et la qualité considérable de ce pianiste français. Réputé également pour l’interprétation de Ravel, il s’attache à la cohérence musicale au programme en donnant en bis À la manière de Borodine de Ravel.
La 21e édition se déroule les 14, 15 et 16 juin 2024.
Programme
Dimanche 11 Juin à 14h30, Conservatoire
Franz Schubert Rondo / Quatre polonaises / Fantaisie en fa mineur
Ribert Schumann Andante et variations pour deux pianos
Frédéric Chopin Rondo pour deux pianos
Geister Duo : David Salmon et Manuel Vieillard
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Concert de Clôture
Dimanche 11 Juin à 20h, Le Nouveau Siècle
Mikhaïl Glinka Ouverture de Rouslan et Ludmila
Alexandre Scriabine Concerto pour piano
Nikolaï Rimski-Korsakov Capriccio Espagnol
Piano Bertrand Chamayou
Orchestre Symphonique d’Anvers
Direction Elim Chan
* Le communiqué de presse daté du 19 juin annonce que la 20e édition a accueilli 12,000 spectateurs. Par ailleurs, l’ouverture du festival avec la création mondiale de la Symphonique Quantique de Molécule – dirigée par Alexandre Bloch – fera l’objet d’une parution discographique en 2024 pour le label Alpha Classics ; 3 récitals dans le cadre du Focus Chopin seront diffusés ultérieurement sur Qwest TV (Bruno Rigutto, Igor Tchetuev, Fanny Azzuro)