Le festival Dans les Jardins de William Christie (du 24 au 31 août 2024) a été ponctué de quelques averses, obligeant à relocaliser les promenades-concerts de l’après-midi du 29 août dans des lieux de repli. Malgré cette contrainte, la 13e édition a remporté un franc succès, notamment grâce aux opéras traditionnels sur le miroir d’eau, qui ont attiré une affluence exceptionnelle, avec un taux de remplissage de 100 % !
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Des averses pour un après-midi musical…
Voir la pluie en cette période de l’année dans les magnifiques jardins de William Christie est rare. Mais sous un ciel gris, l’odeur des herbes fraîches et agréables embaume l’air, dans ce domaine de la Fondation Les Arts Florissants à Thiré, en Vendée. Les plantes et les arbres semblent eux aussi apprécier ces précipitations, révélant des couleurs aux nuances subtiles de clair-obscur.
Concerts dans les Jardins sous la pluie…
Lors de notre séjour de deux jours, les 29 et 30 août, le ciel, bien que capricieux, a offert aux Jardins des visages inédits. Cela fait quelques années que je viens à Thiré pour les deux festivals annuels, au printemps et en été, et c’est la première fois que je découvre les Jardins sous la pluie. Une expérience nouvelle, non dépourvue d’un grand charme.
La météo était incertaine depuis quelques jours. L’équipe du Festival nous avait même envoyé, pour nous avertir de la possibilité de mauvais temps, une photo où Paul Agnew chante en tenant un parapluie pour le violoncelliste Felix Knecht, le 24 août.
Puis, quelques heures avant le début des promenades, nous avons reçu des informations sur les lieux de repli, qui allaient être encore modifiés au dernier moment. C’est ainsi que le premier concert auquel j’avais prévu d’assister, « Les insectes de Thiré », qui devait se tenir sous une tente près du Pont Chinois, s’était déplacé ailleurs et j’ai entendu finalement « Groove au Bois », un délicieux programme concocté par le flûtiste Sébastien Marq et la percussionniste Marie-Ange Petit. Le programme annonçait : « Pièces baroques remixées ».
Avec des pièces baroques remixées
De quoi s’agit-il ? Il s’agit de reels irlandais, d’une pavane de Pierre Attaignant (imprimeur et éditeur de partitions du XVIe siècle, inventeur d’un procédé d’impression musicale par caractères mobiles), d’un prélude dans le style de Hotteterre (flûtiste du XVIIIe siècle), mais aussi d’une composition de Marie-Ange Petit. Le dialogue musical entre les deux artistes, ayant chacun déjà passé plusieurs décennies chez Les Arts Florissants, est empreint d’amitié et de convivialité. Quelques regards suffisent pour que la musique jaillisse avec la fluidité d’une source, les notes semblant enchantées.
La percussionniste s’amuse à remixer des sons échantillonnés à partir d’instruments d’époque, frappant sur son appareil qui lui permet de transporter les sons de divers instruments anciens (grâce aux échantillonnages). Le rythme, inspiré du rock, soutient une flûte qui plane librement sur un beat moderne. À un moment où la pluie frappe vigoureusement la tente, Sébastien Marq remarque avec humour que le bruit de la pluie, poétique, rivalise avec la musique ancienne. Tout se déroule dans une ambiance de bonne humeur, et le public, enchanté, repart pour un autre mini-concert ou reste à l’abri sous la tente.
… et sous le soleil, aux Enfers
Le lendemain, le soleil fait son retour, inondant les lieux de ses rayons éclatants. Si les thèmes des concerts de la veille étaient liés au jardin, évoquant des insectes, des animaux, des bois…, cet après-midi-là, c’est l’enfer qui est à l’honneur ! « Voyage aux Enfers : aller-retour ou aller simple ? », « Orphée, Itinéraire bis », « Une pastorale avec des monstres »… Autant de thèmes pour occuper notre séjour infernal, riche en délices !
Cap sur les Enfers donc, avec un septuor de voix masculines (Christophe Baska, Nicolas Kuntzelmann et Bruno Le Levreur, contre-ténors ; Edouard Hazebrouck et Jean-Yves Ravoux, tailles ; Laurent Collobert et Simon Dubois, basses) accompagné par Évolène Kiener au basson et Gabrielle Rubio au théorbe. Des extraits d’opéras de Monteverdi (Orfeo), de Lully (Alceste), de M.-A. Charpentier (La Descente d’Orphée aux Enfers), de Rameau (Hippolyte et Aricie), et d’anonymes habilement pastichés, racontent l’aventure du héro malheureux mais courageux… et surtout astucieux. Son périple, semé d’embûches et de dangers, est commenté en temps réel, nous faisant vivre l’extraordinaire voyage du jeune marié comme si nous y étions. Coincé à la fin de son chemin — c’est là qu’on voit qu’il est drôlement malin —, Orphée décide de fuir le royaume des ombres au rythme endiablé du Galop infernal d’Offenbach, version baroque ! Nous ignorons s’il a échappé aux ténèbres, mais c’est avec une note légère et joyeuse que je me dirige vers la Pinède, pour redescendre aux Enfers, empruntant un itinéraire bis.
L’itinéraire bis d’Orphée mène…
Ce que l’on ignore souvent, c’est qu’il existe plusieurs chemins pour atteindre les Enfers ! Nous suivons donc un autre itinéraire, pour varier les paysages et les sensations. Ce parcours alternatif, retracé par Nicolas Clérambault, est proposé par Virginie Thomas (soprano), Emmanuel Resche-Caserta (violon), Elena Andreyev (violoncelle), Béatrice Martin (clavecin), rejoints par Gabrielle Rubio, que nous avons déjà entendue, mais cette fois-ci au traverso. Le chant expressif de la soprano traduit les douleurs et les désarrois d’Orphée, soutenus et parfois adoucis par les instruments. Le cadre champêtre offre sans doute une consolation à Orphée dans ses mésaventures, mais son malheur a engendré tant de belle musique que les mélomanes se sentent presque reconnaissants de son sort !
… au pub irlandais
Tous les mini-concerts de l’après-midi convergent vers la terrasse de la maison de notre hôte, William Christie. Ce concert final au programme identique à celui de la veille (une carte blanche à Sébastien Marq) qui s’était déroulé sous une tente intimiste, évoque l’atmosphère d’un pub irlandais. Oui, nous sommes censés être dans un pub, pour écouter des catches et grounds de Purcell, Blow, et d’autres compositeurs anglais. Des chansons de Purcell parlant de boissons et de femmes ? Cela pique forcément la curiosité. Paul Agnew, Cyril Auvity, et Edward Grint ne cessent de trinquer, levant à maintes reprises leurs verres remplis non pas de bière mais de nectar bordeaux clair.
Le co-directeur artistique des Arts Florissants incarne un ivrogne qui exige que tout le monde chante une chanson sur « le monsieur qui habite cette maison et qui s’appelle William, que l’on appelle Bill ». À cet appel, Monsieur Bill répond : « C’est moi ! » Nous entonnons tous le refrain, dans une délicieuse ivresse musicale. En effet, même sans alcool, la musique joyeuse enivre, et chacun quitte les lieux le cœur léger et le sourire aux lèvres.
Un après-midi bien rempli laisse place à un concert du soir tout aussi réjouissant, dont je parlerai dans un prochain article.
Concerts de l’après-midi, 29 et 30 août dans le cadre du festival Dans les Jardins de William Christie, Thiré, France.