Nous poursuivons notre journée d’ouverture de l’Atelier Lyrique de Tourcoing, le 25 septembre. C’est encore un concert vocal qui nous a charmés, cette fois dans un répertoire italien de la Renaissance aux prémices du baroque. Le cadre est magnifique : l’église Saint-Christophe qui, malgré son grand volume, offre une acoustique claire.
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« Il pianto della Madonna » : tel est le titre du concert donné par la soprano Maïlys de Villoutreys et l’Ensemble Acte 6. De la douleur (Stabat mater de Giovanni Felice Sances) à l’adoration (Salve Regina de Barbar Strozzi), de la tendresse mêlée d’angoisse (Hor che Tempo di Dormire de Tarquino Merula) au pleur (Il pianto della Madonna sopra il Lamento d’Arianna de Claudio Monteverdi), ces airs en latin et en italien relatifs à la Vierge Marie revêtent un caractère éminemment théâtral dans les expressions profondément touchantes de la cantatrice.
Une théâtralité baroque
Dans son interprétation de Hor che Tempo di Dormire, les ritournelles qui semblent se répéter à l’infini avec des ornements à chaque fois renouvelés, est sensuel à souhait malgré l’évocation de la future passion de son enfant. La voix céleste et lisse de Maïlys de Villoutreys, d’une blancheur bleutée, est splendide dans cette sensualité. Elle évoque une incarnation d’une théâtralité baroque par excellence, telle qu’on voit dans différentes représentations de Pietà — nous pensons bien sûr à celle de Michel-Ange. On sent même un certain érotisme caché dans la pudeur maternelle apparente.
Une approche pour l’ouïe du seicento
L’Ensemble Acte 6, le prix du jury de la Résidence-tremplin Jean-Claude Malgoire 2022, propose une approche pour l’ouïe du seicento, notamment avec la viola da spalla joué par Samuel Hengebaert, co-directeur artistique du groupe avec le claveciniste Ronan Khalil. Sa sonorité très proche de la voix humaine se conjugue avec les autres instruments à cordes frottées (viole de gambe de Robin Phalo et de Julie Dessaint qui tient également la violone) et crée une résonance qui semble aux frontières d’au-delà et d’ici-bas. Ainsi, avec le clavecin et l’orgue ainsi que l’archiluth (Marc Wolff), l’ensemble participe à la théâtralisation de la musique… Mais l’écoute suscite une sensation que cela rend à la musique sa théâtralité inée. Le déplacement de la cantatrice, selon les pièces, dans la nef ou dans le chœur, renforce ce sentiment.
Ces pièces vocales sont ponctuées de pièces instrumentales, au clavecin ou au luth : Passacaille del seigneur Luigi de Luigi Rossi, Passacaille de Giovanni Hieronymus Kapsberger et Toccata terzo per clavicembalo de Girolamo Frescobaldi. Ce sont, pour ces instrumentistes, des occasions de briller par leurs inventivités et d’exprimer leurs grandes musicalités.
À travers la superbe interprétation, ce concert dévoile la théâtralisation des contextes musicaux religieux pour exprimer les sentiments infiniment humains. Et c’est cette humanité qui nous émeut, plus que la dévotion mariale, le thème de toutes ces compositions.
Programme :
Plainchant
STROZZI Barbara (1619-1677) : Salve Regina
ROSSI Luigi (1597-1653) : Passacaille del seigneur Luigi
MONTEVERDI Claudio (1567-1643) : Il Pianto della Madonna sopra il Lamento d’Arianna
MERULA Tarquino (1595-1665) : Hor che Tempo di Dormire
KAPSBERGER Giovanni (1580-1651) : Passacaille
FRESCOBALDI Girolamo (1583-1643) : Toccata terzo per clavicembalo
SANCES Giovanni Felice (1600-1679) : Toccata terza per clavicembalo
STROZZI Barbara (1619-1677) : Ô Maria
Maïlys de Villoutreys, Soprano
Ensemble ACTE 6 :
Ronan Khalil, Clavecin et orgue
Samuel Hengebaert, Viola da spalla et direction artistique
Robin Pharo, Viole de gambe
Julie Dessaint, Viole de gambe et violone
Marc Wolff, Archiluth