Le Festival Hirondelle offre non seulement des concerts variés en sujet et en formation, mais aussi un lieu de résidence où on peut se permettre une expérience audacieuse. Le programme du 27 juillet a permis de vivre un moment exceptionnel à plusieurs titres.
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Viole d’amour
« Lettres intimes » — les mélomanes imaginent immédiatement le quatuor à cordes de Leoš Janáček qui porte pour sous-titre ces deux mots. L’œuvre, remplie de clair-obscur, évoque des épisodes amoureux du compositeur avec son égérie Kamila Stösslová. Par coutume, ce depuis sa création, l’œuvre est interprétée dans une formation habituelle du quatuor avec un alto. Mais à l’origine, elle est écrite avec une viole d’amour. Le Quatuor Ardeo procède à une expérimentation audacieuse : en prenant l’indication du compositeur à la lettre, il introduit l’instrument et l’archet anciens. Le timbre ambré de la viole, beaucoup plus douce que les violons et le violoncelle qui l’accompagnent, crée une sonorité d’ensemble inattendue. On ne sait si Janáček a escompté cet effet sonore. En effet, avant le concert, Yuko Hara explique qu’il était surtout fasciné par le nom de l’instrument ; d’autres sources racontent que le compositeur a abandonné très tôt la viole en raison de difficulté technique ou de l’incompatibilité des sonorités avec les violons et le violoncelle.
Improvisation au piano sur des thèmes des « Lettres intimes »
Quoi qu’il en soit, j’étais en train de m’interroger si la vivacité de l’interprétation — la viole d’amour jouant avec les instruments modernes provoquera inévitablement une tension nettement supérieure sur les cordes de boyau et sur son archet dédié — et l’humidité à l’intérieur de l’église ne causaient pas un certain inconfort aux musiciennes et aux instruments, quand, tout d’un coup, on a entendu un bruit sec. Une corde s’est effectivement rompue, non pas de la viole mais du violon de Mi-Sa Yang. Pendant le changement de corde, le pianiste Kit Armstrong, un autre invité de marque de cette édition, propose une improvisation sur des thèmes du quatuor, notamment celui sur la gamme par ton du quatrième mouvement !
Lorsque la violoniste est revenue, le pianiste clôture sa pièce éphémère en douceur. Les regards que les deux musiciens croisent à ce moment-là en disent long pour la complicité créée depuis quelques jours au Château de Lescure, lieu de leur résidence musicale.
Janáček intense
Le thématique général de cette édition, « Lettres », est construit sur l’œuvre de Janáček, dit Yuko Hara. La musique intense du compositeur tchèque est rendue avec beaucoup de verve, Chaque épisode à l’intérieur de chaque mouvement est chargé d’émotion propre, amoureuse, inquiète, étincelante, palpitante, ou encore introspective. Ces caractères sans cesse changeants n’ont pas de secret pour les quatre femmes qui livrent une interprétation magistrale. Plus que Schubert et Mozart de la veille, plus que Beethoven au début du concert (Razumovsky n° 2 très flexible), et même plus que Chostakovitch dramatique, ce Janáček a offert une expérience musicale forte. Une ovation debout du public montre que chacun a vécu cette intensité et l’a appréciée.
Kit Armstrong dans Beethoven et Saint-Saëns
Autour de l’entracte, Kit Armstrong joue deux pièces moins familières, « Andante favori » de Beethoven et Fantaisie pour piano « Africa » de Saint-Saëns. Le pianiste prend parole avant chaque interprétation en insérant des anecdotes, ce qui permet au public de se sentir proche du compositeur et d’aiguiser l’écoute. L’esprit ouvert du musicien et son accessibilité naturelle mettent la salle en mode détente, d’autant que, blessé au pied droit, il est venu avec ses béquilles et manipulait la pédale forte avec le pied gauche ! Son jeu fait entrevoir beaucoup de liberté dans un cadre précis de Beethoven, tandis qu’une grande rigueur régit la liberté et la virtuosité de Saint-Saëns. Le public ne se trompe pas : il ne tarit pas les applaudissements ponctués de « bravo ! ».
Le pigeon voyageur de Schubert (extrait du cycle Chant du Cygne) que proposaient Yuko Hara à la viole d’amour et Kit Armstrong en bis fut une véritable grâce incarnée.
Concert du 27 juillet à 20 h, Eglise de Lacroix-Barrez