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À Menton, Nelson Goerner dans les contrastes sans aucun superflu

Haendel, Schumann et Liszt dans une maîtrise subtile et nuancée

par Victoria Okada
Nelson Goerner à Menton, août 2024

L’un des plus anciens festivals de musique en Europe, le Festival de Musique de Menton a accueilli cette année sa 75e édition du 27 juillet au 12 août. Lors de son récital du 10 août dernier, pour l’avant-dernier concert de la série « Grands Interprètes » sur le parvis de la basilique Saint-Michel-Archange, Nelson Goerner a livré une interprétation qui se distingue par sa pureté et son absence d’artifice, confirmant sa maîtrise subtile et nuancée dans chaque pièce.

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Entre la subtilité baroque de Haendel et la dualité schumannienne

Nelson Goerner débute la soirée avec la Chaconne en sol majeur de Haendel, dans laquelle il a su marier la légèreté du clavecin avec la résonance ample et chaleureuse du piano moderne. Son jeu délicat a mis en valeur les subtilités de la musique baroque, où chaque note semblait suspendue dans l’air, tout en restant dans la profondeur sonore du piano.
Pour Davidsbündlertänze de Schumann, Goerner a choisi une approche posée et réfléchie, loin de toute démonstration de force inutile. Sans jamais sacrifier la fougue, il a privilégié des tempos modérés, mettant en avant la réflexion musicale plutôt que la virtuosité pure. On pourrait dire que chez Goerner, Eusebius est plus présent que Florestan, en tout cas plus que chez de nombreux autres pianistes qui mettent accent sur le caractère pétulant de ce dernier. Ainsi, des notes jouées en double ou triple piano résonnaient avec une douceur extrême, comme chuchotées à l’oreille. Ce choix interprétatif nous emmène à la quintessence du piano, dénudée de tout superflu. La dernière pièce la présentait si bien, où la musique se teintait de nuances délicates, évoquant des couleurs douces comme l’écrou ou le blanc cassé. Il l’interprète comme si l’il refermait un livre après un conte rempli de péripéties, ne laissant qu’un souvenir apaisant et lumineux.

 

Nelson Goerner à Menton, août 2024

Nelson Goerner, 10 août 2024 au Festival de musique de Menton © Patrick Varotto / Ville de Menton

 

La poésie et le lyrisme de Liszt dans une interprétation transcendante

Dans la deuxième partie dédiée à Liszt, Nelson Goerner a démontré une fois de plus son talent à allier puissance et délicatesse. Son interprétation de Liszt est certes transcendante mais n’est jamais écrasante ; elle se manifeste par une affirmation harmonieuse, une sorte de dialogue amical entre l’interprète et le compositeur. Cette symbiose s’est particulièrement révélée dans la Ballade n° 2, et encore plus dans Sonnet de Pétrarque n° 104, où Goerner a su extraire toute la poésie et le lyrisme de l’œuvre, enrichissant son interprétation d’une fine tendresse. La musique semblait s’étendre dans une immensité évoquant à la fois la beauté, la profondeur du cœur et l’intensité des sentiments. À l’instar de Schumann, il nous raconte une histoire à travers les notes. Ensuite, la modernité est à l’honneur avec la Valse oubliée n° 2, une rareté en concert. Chaque détail a été finement articulé, que ce soit à travers les appogiatures, la structure rythmique ou le patchwork sonore que Liszt a tissé. Vient enfin la Rhapsodie hongroise n° 6, le point culminant du récital. Goerner a magistralement fusionné les éléments introspectifs et expressifs de l’œuvre. Sans jamais céder à la tentation des effets faciles, il a livré une interprétation sincère et généreuse, reflet fidèle de sa démarche artistique et de sa personnalité. La générosité de son jeu, toujours authentique, a trouvé un écho parfait dans l’enthousiasme du public.

 

Nelson Goerner à Menton, août 2024

Nelson Goerner, 10 août 2024 au Festival de musique de Menton © Patrick Varotto / Ville de Menton

 

Trois bis dans un jeu dépouillé de tout artifice

Pour répondre à l’enthousiasme de l’auditoire, Nelson Goerner a offert trois bis. Le Prélude op. 23-4 de Rachmaninov, plein de poésie et d’amour, suivi par Oisillon de Grieg (extrait des Pièces Lyriques op. 43), où les trilles délicats évoquaient magnifiquement le chant des petits oiseaux. Enfin, le Nocturne en ut dièse mineur op. posthume de Chopin a conclu le récital avec des rubatos d’une extrême délicatesse.
Ainsi, Nelson Goerner a mis son public sous le charme d’un jeu dépouillé de tout artifice, où chaque note résonnait avec une sincérité désarmante. Un récital où la musique se faisait écho d’une humanité profonde, touchant à l’essence même de l’art pianistique.

 

Festival de Menton, éclairage à la bougie

Sur le parvis de la basilique Saint Michel Archange, les bougies traditionnellement allumées pour le concert ajoute une touche poétique à la soirée. © Victoria Okada

 

Détail de réverbère © Victoria Okada

 

Programme

G.F. Haendel : Chaconne en Sol Majeur HWV 435
R. Schumann : Davidsbündlertänze op.6
F. Liszt : – Ballade n°2 en si mineur, S.171
Sonnet de Pétrarque n°104 en Mi Majeur, S.161 (Années de pèlerinage 2e année)
Valse oubliée n°2 en La bémol Majeur S.215
Rhapsodie hongroise n°6 en bémol Majeur S.244

10 août 2024, parvis de la basilique Saint-Michel Archange, Menton

 

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