(Ceci est la version révisée d’un article paru initialement le 2017 sur un autre site)
Alessandro Deljavan, rare en France, a donné les époustouflantes Variations Goldberg aux Récollets (Paris 11e) dans le cadre des concerts Les Pianissimes.
De mère italienne et de père perse, diplômé du Conservatoire Giuseppe Verdi de Milan en 2003, il est lauréat de nombreux concours internationaux : Concours Van Cliburn (Raymond E. Buck Discretionary Award, 2013 et John Giordano Discretionary Award, 2009), Concours Isangyun (2ème prix, Tongyeong, Corée du Sud, 2010), Concours J.N. Hummel (2e prix, Bratislava, 2005), Concours Jeune Artiste de Gina Bachauer (5e prix, 2005) et Concours musical de France (1er prix en 1996).
Il s’assied sur un tabouret bas qu’il amène expressément d’Italie, si bas que ses coudes se trouvent sous le clavier. Ses mains sont couvertes de gants noirs coupés à la racine des doigts. Un souffle, et il se met à jouer. Dès les premières notes, nous sommes saisis par sa musicalité originale, qui ne transgresse pourtant rien. Il a bien son identité musicale qui ne nécessite absolument aucune extravagance recherchée. Il a une manière de bouger les doigts, les mains, et surtout, de libérer la force, que lui seul pourrait maîtriser, y compris sa posture particulière à cause de son siège. Il semble accumuler une énergie sur le « dos » des doigts pour ensuite la faire descendre sur chaque touche, si bien qu’à le regarder, c’est comme si la force se déplaçait horizontalement, en parallèle au clavier. Mais cela ne bute jamais musicalement, il n’y a aucune maladresse dans le déroulé de l’œuvre.
L’interprétation qu’il nous offre est un véritable plaisir. Les variations lentes sont dominées par de très beaux chants, tandis que celles rapides ont un tempo qui coule de source, agréable à écouter, car cette sorte de course frénétique dans les détails techniques, dans lequel on tombe si facilement, est absente.
Il joue avec toutes les reprises, et à chacune de ses reprises, une surprise attend. Par des ornements inattendus, par l’accentuation de certaines phrases, par l’insistance de voix inférieure ou médium… Il joue du piano — et non du clavecin — d’un clavier unique et… horizontal, mais il fait de cette horizontalité une véritable polyphonie, plein de relief à mille couleurs. Il sait utiliser la pédale una corda avec une efficacité redoutable, pour changer de sonorité bien sûr, mais encore, pour modifier la texture sonore. Sa sonorité, limpide, est puissante et affirmative ici, délicate et caressante là, merveilleusement contrôlée selon les notes, et ce, dans la perspective de l’ensemble de la progression musicale. Cela prouve son sens de construction et sa capacité de tenir la tension de bout en bout, sans jamais lâcher l’auditeur un seul moment.
C’est un piano haut de gamme, par un musicien authentique.
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Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Variations Goldberg BWV 988
Alessandro Deljavan, piano (Bösendorfer)
Paris, Les Récollets, lundi 18 décembre 2017