Le Théâtre des Champs-Élysées présente Semele de Haendel, avec Pretty Yende fait ses débuts dans le rôle-titre, entourée de chanteurs bien calibrés. La mise en scène d’Oliver Mears propose une lecture cohérente, qui supporte largement la transposition de l’intrigue dans un hôtel (particulier?) de luxe.
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Une scène symbolique et une atmosphère oppressante
La scène est dominée par un large canapé-lit circulaire d’un côté et une gigantesque poêle de l’autre. Dans un style vaguement Art déco, les personnages sont habillés et coiffés comme dans les années 1950-1960 (scénographie et costumes d’Annemarie Woods), suggérant déjà un monde d’antan. Sémélé est une femme de chambre et ramasse des cendres, que Jupiter dépose dans une urne. Ce Jupiter-là, beau, riche et puissant, dévoile progressivement sa nature, arrogant et cruel. Son assistant (rôle muet, invention d’Oliver Mears) suit son maître comme une ombre, même dans sa chambre, alors que Junon a une suivante qui lui est inséparable. Malgré leur pouvoir divin, ils ne peuvent finalement exister seul…
On devine rapidement que Jupiter a soumis de nombreuses femmes. La vérité éclate à la fin lorsque l’ouverture d’une armoire intégrée à la poêle révèle une dizaine d’urnes bien rangées. C’est un sociopathe qui joue avec ses victimes, Sémélé en tête. Servante tombée dans les bras d’un « prince charmant », l’histoire peut ressembler à celle de Cendrillon mais elle cause sa propre perte lorsqu’elle exige de voir Jupiter sous sa forme divine. On lui retire le fœtus — la scène est assez réaliste, avant qu’elle soit immolée dans la poêle, dont les cendres sont à nouveau ramassées par une autre servante… Un cycle infernal qui évoque Le Locataire de Roman Polanski, aussi énigmatique qu’effrayant.

SEMELE de Haendel
Pretty YENDE (Semele), Ben BLISS (Jupiter)
Théâtre des Champs Elysées © Vincent PONTET

SEMELE de Haendel
Pretty YENDE (Semele), Ben BLISS (Jupiter), Alice COOTE (Junon), Brindley SHERRATT (Cadmus – Somnus), Niamh O SULLIVAN (Ino), Carlo VISTOLI (Athamas), Marianna HOVANISYAN (Iris) ; Théâtre des Champs Elysées © Vincent PONTET
Une distribution équilibrée
Ben Bliss incarne un Jupiter cruel et froid, dont les vocalises sonore et d’une justesse insoupçonnée semblent symboliser le perfectionnisme du pervers narcissique. Face à lui, Pretty Yende campe une Sémélé d’abord crédule à Jupiter, presque soumise, avant de devenir plus exigeante en réclamant son droit au désir. Vocalement bien tenue lors de cette deuxième représentation, son jeu d’actrice, parfois un peu maladroit, complète cependant parfaitement le rôle et contribue à la réussite de la production. Ainsi, dès la scène initiale, son refus du mariage avec Athamas est si clair qu’on ressent la détresse de la jeune femme. Carlo Vistoli interprète un Athamas sensible et naïf avec une belle maîtrise vocale. Alice Coote incarne Junon furieuse et tourmentée : sa voix parfois tremblante et imprécise traduit à merveille son désarroi.

SEMELE de Haendel
Pretty YENDE (Semele) et Carlo VISTOLI (Athamas) Théâtre des Champs Elysées © Vincent PONTET
Des seconds rôles marquants
Une mention spéciale pour Brindley Sherratt, qui interprète avec aisance Cadmus et Somnus. Si sa basse profonde illustre un père déconcerté par le refus de Semele d’épouser Athamas, il insuffle surtout une touche d’humour en Somnus, endormi dans une baignoire au milieu d’une salle de bain insalubre envahie de canettes et de bouteilles vides. Le décor vert d’eau aux lumières feutrées (Fabiana Piccioli) confère à la scène une beauté étrange.
Niamh O’Sullivan (Ino, la sœur de Semele) et Marianna Hovhannisyan (Iris, la suivante de Junon) assurent leurs féminités dans tous ses états et complètent les tableaux des sentiments.

SEMELE de Haendel
Alice COOTE (Junon), Brindley SHERRATT (Cadmus – Somnus), Marianna HOVANISYAN (Iris)
Théâtre des Champs Elysées © Vincent PONTET
Une direction musicale vivante
Emmanuelle Haïm dirige avec son élan habituel, sculptant les sonorités de son orchestre et du chœur Le Concert d’Astrée (chef de chœur : Richard Wilberforce, actuel chef du Chœur de l’Orchestre de Paris). Elle semble privilégier les caractères sonores distincts de chaque instrument et pupitre, apportant à l’opéra des nuances subtilement épicées.
Voici une production forte et aboutie, où la noirceur du conte rencontre la précision musicale, pour cette version actualisée de Semele.