La 15e édition du festival Pianoscope de Beauvais s’est tenue du 8 au 10 octobre, sous la direction artistique de Nicholas Angelich. Et il y a eu une mauvaise et une bonne nouvelle. La mauvaise : celui-ci, souffrant, n’a pas pu assurer sa présence, alors qu’il devait jouer dans quelques concerts. Il a fait alors appel à ses amis pianistes pour le remplacer. La bonne : on a pu entendre Jean-Baptiste Fonlupt et Alexandre Kantorow, le 1er octobre, dans de magnifiques concerts avec des programmes plus qu’inspirants !
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Deux concerts de Kantorow dans la journée
Le comble de tout, c’est qu’Alexandre Kantorow joue dans deux concerts dans la même journée du dimanche 10 octobre. Le concert de 11 heures est complet, ainsi que le concerto avec Les Siècles sous la direction de François-Xavier Roth, dans la soirée.
Dans la matinée, il joue en duo avec le violoniste Renaud Capuçon. Ils ont choisi trois sonates de grand calibre : l’opus 105 en la mineur de Robert Schumann, la sonate de Claude Debussy et l’opus 100 en la majeur de Johannes Brahms.
Dans l’ancienne grange de la Maladrerie Saint-Lazare, sous le plafond à une charpente du XIIIe siècle) et entre les murs de pierres de taille, les deux instruments résonnent amples mais sans excès. On peut entendre les détails avec la même clarté que dans un salon particulier.
Dans sa bulle
Aussitôt assis devant le clavier, Alexandre Kantorow se met dans sa bulle, plonge directement dans la musique. Autour de lui, rien n’existe que la musique. Il ne laisse aucune ambiguïté dans les rythmes, les nervosités et l’obsession de Schumann, notamment pour le 3e mouvement. Son Debussy n’a rien d’« impressionniste » (d’ailleurs le terne n’est absolument pas adapté pour sa musique). Au lieu de sonner avec des nuances subtiles semblables à des peintures de Monet, on pense plutôt à des contours plus distincts de Manet, voire les couleurs sombrement réalistes de Courbet. C’est un Debussy robuste, mais il n’y a pas de dureté. Quant à ses expressions, l’éventail est très large. Quelle multiplicité de timbres, quel dynamisme et quelle agogique !
Proposer son langage
Il assimile complètement le langage de Debussy pour proposer son langage à lui, mais sans que sa personnalité se substitue à celle du compositeur. C’est là, le génie de ce jeune interprète qui réussit à coup sûr à transformer n’importe quelle partition en la sienne, et ce, dans le respect total envers la partition. En résumé, C’est Debussy mais c’est Kantorow… Ainsi, il convainc par la force de sa vision. Pour Brahms, son compositeur préféré, la magie opère encore plus fort. Mille choses se passent dans un naturel sidérant, comme si la musique a toujours existé tel qu’il entend, ou encore, comme si c’était lui qui l’avait écrite ! Le bis, le mouvement lent de la 3e sonate de Brahms, est rempli de tendresse tout en étant quasiment philosophique…
À côté du jeune musicien, le violon sonne, hélas, plat. Mais qui véritablement pourrait jouer avec la même inspiration que lui ? C’est avec cette interrogation que nous avons quitté la salle.
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Programme
Claude Debussy : Sonate pour violon et piano
Robert Schumann : Sonate pour violon et piano n°1 en la mineur, opus 105
Johannes Brahms : Sonate pour violon et piano n° 2 en la majeur, opus 100
Renaud Capuçon, violon
Alexandre Kantorow, piano
10 octobre 2021 à la Maladrerie Saint-Lazare, Beauvais, dans le cadre du 15e Festival Pianoscope