Accueil ScènesConcours Coup de jeunesse sur le 76e Concours de Genève – piano

Coup de jeunesse sur le 76e Concours de Genève – piano

Le pianiste canadien Kevin Chen, 17 ans, remporte le premier prix

par Victoria Okada
Lauréats 76e Concours de Genève,

L’épreuve finale piano du Concours international de Musique de Genève s’est déroulée le 3 novembre à Victoria Hall de Genève. Dans la foulée, le jury a proclamé les prix. Le pianiste canadien Kevin Chen, 17 ans, a remporté le Premier Prix, suivi de Serguey Balyavsky (Russie) à la 2e place et Kaoruko Igarashi (Japon) et Zijian Wei (Chine) pour le Troisième Prix ex æquo.

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C’est sous les caméras qui transmettent directement cette dernière étape de la compétition, que les quatre candidats finalistes — au lieu de trois habituellement — se présentent l’un après l’autre.
Ces quatre jeunes pianistes ont été choisis parmi les 182 inscrits, à l’issue de la présélection par vidéo (40 candidats retenus de 14 nationalités, 14 femmes et 26 hommes), puis « Récital OnLine » toujours par vidéo (9 retenus), et du demi-final à Genève organisé du 27 au 30 septembre au Conservatoire de Genève. Le jury des épreuves genevoises est constitué de sept pianistes internationaux, présidés par Janina Fialkowska (Canada).

 

Questionnements sur la profession pianiste

Zijian Wei, 3e Prix ex æquo

Zijian Wei au final du 76e Concours de Genève, Victoria Hall, 3 novembre 2022 © Anne-Laure Lechat

C’est le Chinois Zijian Wei (24 ans) qui ouvre le bal avec le premier Concerto de Liszt. Il se remarque dès les premières notes avec un son fracassant. Cette entrée en fanfare annonce bien l’œuvre pleine de rebondissements, dans son caractère trempé, mais la brutalité des accords et des octaves influe d’emblée notre perception, et par conséquent, notre jugement. En effet, dans une salle aussi sonore que Victoria Hall, cela atteint la saturation et la dépasse même. Est-il capable de prendre en considération de l’acoustique du lieu ? Voilà la première question que nous nous posons. Il s’est par la suite montré bien capable de varier des caractères et des humeurs, notamment de très beaux passages lents avec grande sensibilité et un sens rythmique indéniable vers la fin. Mais comme souvent dans tous les concours au moment du passage du premier candidat, l’orchestre n’est pas encore « chauffé » ; à certains moments, le soliste et les musiciens ont du mal à se suivre, malgré la baguette avisée de Marzena Diakun qui dirige l’Orchestre de Suisse Romande.

 

Kaoruko Igarashi, 3e prix ex æquo

Kaoruko Igarashi au final du 76e Concours de Genève, Victoria Hall, 3 novembre 2022 © Anne-Laure Lechat

La deuxième dans l’ordre de passage, la Japonaise Kaoruko Igarashi (27 ans) présente le Concerto n° 3 de Prokofiev. Contrairement au candidat précédent, le son est trop doux et elle ne tranche pas son entrée. Le cynisme, le sarcasme, l’ironie mais aussi l’humour et l’esprit du compositeur ne se transmet pas dans son interprétation certes très propre, mais manque cruellement d’acuité. Quelque chose de plus romantique, par exemple un concert de Chopin, de Schumann, de Saint-Saëns ou de Ravel dans le programme, aurait mieux correspondu à sa personnalité musicale. Cela pose cette question, éternelle, mais si difficile à répondre : comment bien cerner son propre caractère et comment en tirer ses meilleures qualités ?
Pendant l’entracte, des avis sur les deux premiers candidats fusent déjà de tous les côtés. Sentant que des meilleurs viendront encore, nous attendions avec impatience la suite.

 

Maîtrise et métier

Le troisième, le Canadien Kevin Chen, arrive sur la scène avec un air timide. Son premier Concerto de Chopin est rempli de poésie, dans la clarté constante des propos et des intentions. Il a une sonorité qui perce l’orchestre, sans qu’elle ne soit jamais agressive ni démonstrative ; il prend grand soin de chaque note qui favorise l’écoute. Cette force de retenir l’attention de l’auditeur, c’est incontestablement son atout. Si, pour le deuxième thème du premier mouvement, le tempo adopté paraît bien lent par rapport au reste, cela est compensé par son remarquable sens structurel, valorisant le point culminant à la fin du développement menant à la reprise, sur cette longue dominante où la tension atteint au paroxysme. Le deuxième mouvement est un pur moment de merveille et de tendresse, et montre sa maturité musicale exceptionnelle. Dans le troisième mouvement, il fait preuve d’une légèreté et d’une gaîté (par le rythme) mais cette légèreté profondément appuyée sur une analyse pertinente ; encore une fois, il mène la musique vers chaque point culminant avec une grande efficacité, invitant la salle entière à adhérer à son point de vue. Il maîtrise ainsi l’art de convaincre, mais son art est naturel, sans fard. Tout ce qui a montré ce soir laisse entrevoir son immense talent, mais à la fois une très large marge de progression encore, par exemple, la question de variation de sons. Le public, totalement séduit, a réclamé l’adolescent avec des applaudissements scandés.

 

Kevin Chen, 1er prix

Kevin Chen au final du 76e Concours de Genève, Victoria Hall, 3 novembre 2022 © Anne-Laure Lechat

 

En dernier lieu, le Russe Serguey Balyavsky interprète le troisième concerto de Prokofiev, qui a totalement éclipsé la japonaise. Il attire d’emblée par la joyeuse stridence. De toute évidence, le pianiste de 28 ans a un métier ; il sait cette partition littéralement sur le bout des doigts. Certains passages percussifs sont infiniment percussifs, comme s’il se moquait de tout ; il y accentue particulièrement certains accords habituellement laissés inaperçus, afin de donner encore davantage d’impact, et ce, dans une maîtrise parfaite. D’un autre côté, sur des passages de « détente » dans le deuxième mouvement, le son devient soudain rêveur, pourtant, il ne perd jamais le sarcasme souterrain qu’il le dévoile avec ricanement au moment venu. C’est un pianiste déjà accompli, qui a un étonnant professionnalisme, et qui sait donc dans quel type de répertoire il peut briller (voir son programme à chaque épreuve). Le public est enthousiasmé, certains auditeurs se mettent debout pour lui exprimer leur admiration.

 

Serguey Balyavsky, 2e prix

Serguey Balyavsky au final du 76e Concours de Genève, Victoria Hall, 3 novembre 2022 © Anne-Laure Lechat

 

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À l’issue de ces quatre prestations, le jury a délibéré rapidement, en cinq minutes, comme le déclare Janina Fialkowska avant d’annoncer le palmarès. C’est la jeunesse qui a été primée, et ce résultat a entièrement satisfait le public.

La prochaine édition du Concours international de Musique de Genève sera consacrée à la flûte et au quatuor à cordes et se déroulera du 23 octobre au 4 novembre 2023.

 

Palmarès piano de la 76e édition du Concours International de Musique de Genève

1er Prix : CHF 20’000.- Kevin Chen
2ème Prix : CHF 12’000.- Sergey Belyavsky
3ème Prix : CHF 8’000.- Kaoruko Igarashi et Zijian Wei
Prix du public : CHF 1’500.- Sergey Belyavsky
Prix du jeune public : CHF 1’000.- Kevin Chen
Prix des étudiants : CHF 1’000.- Sergey Belyavsky
Prix Rose-Marie Huguenin : tournée internationale de concerts : tous les candidats
Prix Fondation Etrillard : CHF 5’000.- Kevin Chen
Prix Concerts de Jussy : CHF 3’000.- et un concert – Kevin Chen
Prix Paderewski : CHF 3’000.- et deux concerts (en Suisse et en Pologne) – Sergey Belyavsky
Prix de la Société des Arts : CHF 3’000.- et un concert – Kevin Chen
Prix des Concerts Steinway Prizewinner : Un ou plusieurs concerts au sein du réseau des Concerts – Kevin Chen et Sergey Belyavsky
Prix Georges Leibenson : CHF 3’000.- Vsevolod Zavidov
Prix Paul Streit : CHF 3’000.- Adria Ye

Les quatre lauréats bénéficieront d’un programme de soutien sur deux ans, avec des concerts, l’enregistrement d’un disque, des tournées et une série d’atelier durant une semaine.

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