Mao Fujita, un jeune pianiste japonais de 23 ans, vient enfin au Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron où il a offert un récital très remarqué grâce à son interprétation dominée par une grande fluidité.
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L’un des jeunes pianistes les plus en vue, Mao Fujita a tardé de faire son apparition au Parc de Florans. Il était prévu d’y faire ses débuts l’année dernière mais l’enregistrement de l’intégrale des Sonates de Mozart (à paraître chez Sony Classical en octobre prochain) l’a empêché de venir poser sa valise à La Roque.
Le vainqueur du Concours Clara Haskil en 2017 et la Médaille d’Argent au Concours Tchaïkovsky en 2019 est, en France, encore insuffisamment connu à cause de l’aura d’Alexandre Kantorow qui, lui, a obtenu la Médaille d’Or au même concours à Moscou. Mais à chacune de ses apparitions (notamment deux fois à La Folle Journée de Nantes), Mao Fujita séduit complètement le public français. C’était bien le cas cette fois-ci encore, à en juger par la foule se précipitant à la signature après le récital.
Un programme romantique dans la proximité d’un salon
Son programme est constitué d’œuvres romantiques : Frédéric Chopin, Johannes Brahms, Clara Wieck-Schumann et Robert Schumann. Dès qu’il pose ses doigts pour deux Nocturnes op. 48, tout le gradin est déjà conquis par sa sensibilité délicate et intime. Des Chopin comme on les aurait entendus à l’époque, interprétés seulement aux amis proches installés autour du piano dans un salon. Par cette proximité qu’il propose, notamment avec du son infiniment subtil, il nous emmène dans une atmosphère de bien-être relaxant. La tension voulue par le compositeur, par exemple dans le troisième Ballade qui suit les Nocturnes, n’est ni crispée ni nerveuse. Elle est tout juste dramatique pour raconter une histoire, un récit. Chez Mao Fujita, tout est en fonction de la fluidité narrative.
Le flux musical
Ainsi, dans les Thème et variations en ré mineur d’après le mouvement lent du Sextuor à cordes op. 18 de Brahms, il transforme le son du piano en celui des cordes et c’est bien la profondeur et la largeur des cordes qui parviennent à l’oreille. Le maintien régulier du volume d’une note, qui est mécaniquement impossible au piano, est pourtant bien là ! Le pianiste est capable de créer cette allusion grâce au flux musical ainsi qu’à l’émerveillement qu’il suscite naturellement chez les auditeurs. Il sait embrasser tout l’espace et tout le temps dont il dispose et les partage généreusement avec le public. Si nombreux sont les interprètes qui peuvent nous émouvoir par leurs jeux, rares sont les musiciens qui englobent dans sa musique l’espace, le temps et l’écoute des autres.
Le sens de récit
Il enchaîne ensuite les Trois Romances de Wieck-Schumann et la deuxième Sonate en sol mineur de Schumann. Mao Fujita explore le charme irrésistible des trois chefs-d’œuvre miniatures de la compositrice, toujours avec cette délicatesse céleste et le sens de récit qui n’appartiennent qu’à lui. Les contrastes y sont merveilleusement nuancés, le tempo justement choisi. Ces éléments continuent à dominer le premier mouvement de la Sonate de Robert l’époux. Après le premier accord imposé avec autorité, mais sans aucune agressivité, il fait émerger le thème d’un tapis sonore constitué de formule arpégé répété de la main gauche, comme une idée claire dans une mer de pensées diverses. Encore une fois, sa musique se meut comme un flux et reflux. Ce schéma se poursuit jusqu’à la coda qu’on doit jouer « Encore plus vite » que « Aussi vite que possible » du début. Dans cette course à la vitesse, jamais il ne se noie, montrant une formidable maîtrise sur tous les plans. Dès lors, on comprend tout à fait la réaction du public qui applaudit à la fin de ce premier mouvement prodigieux. À un « Andantino » rêveur, bercé dans un confort douillet et à un mouvement de scherzo espiègle et piquant, succède le « Presto » final à la fois sombre et éblouissant, dans une folie de vitesse encore plus vertigineuse. Pendant toute cette fièvre schumanienne, son jeu reste extrêmement lucide, limpide et sagace. Sa maîtrise pianistique est tout simplement fabuleuse.
Quatre bis
Il fait de nouveau preuve de cette limpidité dans les quatre bis pour répondre au public enthousiaste. En premier et dernier lieux, du Mozart dans lequel il excelle : le Rondo en ré majeur et le premier mouvement de la Sonate dite « facile » K. 545 où il glisse des ornements sublimes ; le Menuet sur le nom de Haydn qui révèle qu’il est également un ravélien de premier ordre, et un extrait de la troisième Partita de Bach où la grâce est une fois de plus de mise. Nous quittons les gradins de l’Auditorium comme nous quittions le salon d’un ami cher, en lui promettant de revenir sans faute à sa prochaine soirée « entre nous ».
Programme :
Frédéric Chopin : Deux Nocturnes opus 48
Frédéric Chopin : Ballade n°3 en la bémol majeur opus 47
Johannes Brahms : Thème et variations en ré mineur d’après le Sextuor à cordes opus 18
Clara Wieck-Schumann : Trois Romances opus 21
Robert Schumann : Sonate n°2 en sol mineur opus 22
Bis :
Wolfgang Amadeus Mozart : Rondo en ré majeur K.485
Maurice Ravel : Menuet sur le nom d’Haydn
Johann Sebastian Bach : Partita No.3 en mi majeur
Wolfgang Amadeus Mozart : Sonate pour Piano No.16 K.545
Auditorium du Parc du château de Florans, Festival international de piano de La Roque d’Anthéron
30 juillet 2022 à 21h