Lille Piano(s) Festival, organisé par l’Orchestre National de Lille, a eu lieu du 10 au 12 juin, en accueillant plus de 70 artistes et 3 orchestres en 40 concerts, sous le double thème de Bartók et « Espagnes ».
Quatre concerts avec orchestre étaient des occasions d’apprécier les qualités de chaque pianiste.
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Francesco Piemontesi dans le Concerto de Schumann
L’Orchestre national de Lille et Alexandre Bloch donne le la à la 18e édition du Festival avec l’ouverture de Don Giovanni de Mozart. Son tempo plus qu’allant rend les cordes quelque peu floues, mais la dynamique quasi beethovénienne donne une énergie folle, comme souvent chez Bloch. Dans le Concerto de Schumann, Francesco Piemontesi remplace Alice Sara Ott souffrante, qui a dû annuler sa participation malgré le fait qu’elle soit l’invitée d’honneur de cette édition. Piemontesi inaugure ainsi en France le nouveau modèle CFX du piano Yamaha, qui vient juste de sortir de l’usine (une interview des responsables de Yamaha Europe est à venir). Le jeu du pianiste suisse se caractérise par les plans sonores extrêmement intelligibles, avec des tempos parfois très flexible sans aller jusqu’aux rubati. Appuyé sur une technique permettant de ne laisser aucun détail ambigu, Piemontesi offre une interprétation qui nous fait redécouvrir cette œuvre si célèbre que l’on croit pourtant connaître par cœur. Une réjouissance musicale qui annonce le week-end riche et intense.
Simon Grauchy dans le 20e Concerto de Mozart
L’Orchestre de Picardie et Simon Graichy proposent une version originale du fameux Concerto en ré mineur de Mozart, sous la direction d’Arie van Beek. Le chef choisit de placer les vents au premier rang, devant les cordes, faisant ressortir la partie des harmonies comme l’on n’a jamais entendu. Mais cette configuration rend l’équilibre entre les vents et les cordes un peu bancal. C’est probablement à cause de cela, mais aussi parce que Graichy joue pour la première fois Mozart sur scène, le piano paraît un peu en retrait, ou plutôt, prudent. En revanche, au moment des cadences des 1er et 3e mouvements, il est comme un poisson dans l’eau. Pour cause, il a commandé ces cadences au compositeur milanais Jacopo Baboni Schilingi avec qui il a déjà collaboré. L’argument en est plausible : Mozart n’a pas écrit de cadence pour cette œuvre et l’interprète est libre d’en insérer les siennes, comme l’a fait Yvonne Lefébure avec une composition de Fred Goldbeck (dans un enregistrement de Furtwangler et le Philharmonique de Berlin). Or, celles de Jacopo Baboni Schilingi sont électro-acoustiques. Dans chacune des deux cadences, la première note amplifiée retentit à travers un haut-parler, d’autres notes sont traitées électriquement de différentes manières, créant des effets inattendus pour une pièce de Mozart. Toutefois, elles ne s’éloignent pas pour autant de la tradition, car le compositeur italien reprend des motifs de Mozart et les développe à son gré. Pour la question du goût, chacun jugera comme bon lui semble… (Il est fort dommage que le programme n’explique pas cette démarche ni le nom du compositeur.)
Auparavant, l’orchestre a joué la Suite Goyesca d’Enrique Granados transcrite par Albert Guinovart, pianiste et compositeur catalane qui a donné notamment un récital en miroir avec les Valses poeticos de Granados.
Marie-Ange Nguci dans le 21e Concerto de Mozart
Quelques heures après le 20e par Simon Grauchy, Marie-Ange Nguci offre le 21e Concerto du compositeur autrichien avec l’Orchestre national de Lille, cette fois-ci à la baguette de son ancien complice Jean-Claude Casadesus. Légère mais solide, aérienne tout en ayant les pieds sur terre, l’interprétation de la jeune musicienne de 24 ans est élégamment stylée, ses phrasés gracieux montrent la noblesse de sa musicalité. Entre le premier mouvement affirmatif, le deuxième chantant et le final pétillant, elle conte une histoire avec un protagoniste différent à chaque mouvement ; et ces personnages se montrent mélancoliques à des passages en mineur. Les doigts de la jeune femme font ainsi appel à des héros et héroïnes d’un opéra imaginaire qui dialoguent avec leurs propres vocabulaires. La deuxième partie du concert est assurée par la pianiste espagnole Judith Jáureghi dans les Nuits dans les Jardin d’Espagne de Manuel de Falla, mais nous n’avons malheureusement pas pu l’écouter.
Concert de clôture avec Bertrand Chamayou et Les Siècles
La clôture du Festival est toujours une fête, cette année d’autant plus car l’Orchestre Les Siècles, invité d’honneur, y joue pour la première fois. François-Xavier Roth célèbre le 200e anniversaire de la naissance de César Franck, avec deux œuvres rarement joués en concert : Les Djinns et les Variations symphoniques. Bertrand Chamayou joue ces Variations sur un piano Pleyel de la fin du XIXe siècle. Sa virtuosité n’est plus à commenter ; comme souvent, il met sa technique au service de cette musique à la veine lisztienne ; son jeu évoque clairement que, tout comme Liszt, Franck était avant tout un organiste et pianiste qui composait et qui explorait pleinement des couleurs sonores parfois insolites. Le magnifique piano Pleyel est harmonieux avec les instruments d’orchestre, eux aussi de la fin du XIXe avec des sonorités caractéristiques — plus douce ou plus corsée selon des moments —, les sonorités d’époque que le chef ne cesse de « fouiller ». Ces couleurs sont encore mieux mises en avant avec La Mer de Debussy. L’hétérogénéité sonore contribue à créer une peinture aux tons variés et fluctuants, par conséquent mouvants, comme des vagues sans cesse changeantes. L’expérience est hautement appréciée par l’auditoire qui réclame un bis : La Farandole, extrait de L’Arlésienne de Bizet.
Ainsi, c’est sur les notes joyeuses de musique française que la 18e édition de Lille Piano(s) Festival s’est refermé.