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Les Musicales de Sarlat : une programmation exigeante

par Victoria Okada

La troisième édition des Musicales de Sarlat se démarque avec une programmation exigeante et audacieuse. Ainsi, pour l’ouverture du festival, son directeur artistique Nicolas Stavy propose trois œuvres russes de la période soviétique. Pour la deuxième soirée, Mira Yevtich, grande pédagogue et cofondateur, avec Valery Gergiev, du Contemporary Piano Faces Festival à Saint-Pétersbourg, donne un récital. Son apparition est rarissime en France.

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Concert d’ouverture avec des œuvres extrêmement poignantes

À Sarlat, en ce mi-août, un air frais a remplacé la chaleur habituelle de la Dordogne. Sur les gradins installés au jardin des Enfeus, au chevet de la cathédrale Saint-Sacerdos, un vêtement chaud sera nécessaire pour pouvoir rester assis le temps du concert. Sur scène, le vent fait tourner des pages de partition, les grosses pinces à linge sont utiles pour les maintenir.
Prokofiev, Weinberg et Chostakovitch à l’ouverture d’un festival qui n’a que trois ans : il faudra avoir un sacré culot pour oser un tel programme ! Ce sont en effet des œuvres extrêmement poignantes, techniquement difficiles, évoquant l’atmosphère oppressive de la période soviétique. Or, Nicolas Stavy est un pianiste ayant une grande affinité avec la musique russe ; c’est aussi un artiste à une personnalité forte qui s’aventure hors du sentier battu. Il aime explorer les difficultés. C’est donc un pari de faire découvrir aux auditeurs (qui ne sont pas forcément des mélomanes avertis) cet univers musical particulier, loin des « tubes » classiques connus de tous. Afin d’assurer ce programme, il fait appel à deux interprètes de premier plan : Geneviève Laurenceau au violon et Guillaume Martigné au violoncelle. Nicolas Stavy tient lui-même la partie du piano.

 

 

Geneviève Laurenceau et Nicolas Stavy, 18 août 2021, Jardin des Enfeus, aux Musicale de Sarlat © Victoria Okada

 

Geneviève Laurenceau, une personnalité musicale forte

Le concert commence par la Sonate pour violon et piano n° 1 op. 80 de Prokofiev. Geneviève Laurenceau joue depuis peu sur un violon italien construit vers 1700. L’instrument sonne particulièrement bien, même en extérieur, grâce aux trois murs qui entourent le jardin des Enfeus. Le jeu expressif de la violoniste va de pair avec son engagement profond. Le son, large et élastique, s’adapte au caractère de chaque mouvement, mettant en valeur ses phrasés crus et nus. Une formidable puissance dans les coups d’archet fascinants, fait de l’ancien premier violon solo de l’Orchestre de Capitole de Toulouse une personnalité musicale forte, ce que les auditeurs ont confirmé au cours de cette soirée. Si l’humidité a fait rompre une corde à la fin du deuxième mouvement, cela a rendu par la suite l’interprétation encore plus poignante, en rivalisant avec le piano les accents percussifs et agressifs de la partition. Cette agressivité est accompagnée d’une certaine barbarie et Nicolas Stavy la déploie avec intention.

 

Guillaume Martigné, 18 août 2021, Jardin des Enfeus, aux Musicale de Sarlat © Victoria Okada

 

Le violoncelle de Guillaume Martigné : effet multicorde d’un ensemble orchestral

Ensuite, Guillaume Martigné interprète la Sonate pour violoncelle seul n° 1 op. 72 de Mieczyslaw Weinberg, compositeur qu’on commence à (re) découvrir depuis quelques années. La sonorité ombrageuse, délicieusement inquiétante, donne d’abord une atmosphère sombre. Puis, dans le Menuet, Martigné réussit à évoquer une référence baroque dans l’écriture particulière de Weinberg, avec une certaine ironie. Au troisième mouvement, il montre dans un rythme frénétique qu’un seul violoncelle peut produire un effet multicorde d’un ensemble orchestral. À la fin, il insiste sur les doubles-cordes en prenant du temps, pour une conclusion déchirante à jamais. Entre deux mouvements, le violoncelliste mène une autre « lutte » contre le vent, en essayant de fixer au mieux la partition grâce à des pinces à linge, en lâchant quelques commentaires sympathiques. Cela l’a rapproché du public, et par ce fait, a également facilité l’écoute.

 

Geneviève Laurenceau, Guillaume Martigné et Nicolas Stavy, 18 août 2021, Jardin des Enfeus, aux Musicale de Sarlat © Victoria Okada

 

Trois interprètes dans une véritable symbiose furieuse dans le deuxième Trio de Chostakovitch

Enfin, le Trio n° 2 op. 67 de Chostakovitch, tout aussi bouleversant que les deux œuvres précédentes. Ici, les trois talents se conjuguent avec force en une véritable symbiose furieuse. Dans le deuxième mouvement, le crescendo sur une même note aux cordes, à plusieurs reprises, est joué comme pour cracher la rage ou communiquer la folle envie de vivre. Au piano, Nicolas Stavy met tout un poids dans chacune des accords initiaux du troisième mouvement. C’est un requiem sans voix, dont la désolation procure un sentiment d’injustice. Quant au final, les musiciens jouent le fameux motif — qui reste et tourne longtemps dans la tête — de manière si obsessionnelle qu’on ne peut pas se défaire de cette musique… et par conséquent, de ce concert inaugural d’une exigence rare.

 

Mira Yevtich, 19 août 2021, Jardin des Enfeus, aux Musicale de Sarlat © Victoria Okada

 

Mira Yevtich, piano d’une pédagogue

Le lendemain, nous assistons à un récital de Mira Yevtich, grande pédagogue qui forment de nombreux jeunes talents. Son programme (Schumann, Brahms, Chopin, Moussorgsky) suggère une certaine filiation dont elle est issue. Dans un jeu très vertical, typique chez les Russes, les Tableaux d’une exposition sont les plus remarquables de cette soirée. Ses expressions illustrant des couleurs locales, dans un tempo toujours retenu pour l’ensemble de l’œuvre. Ce soir, la température a encore baissé par rapport à la veille et le vent est assez froid pour qu’elle ait besoin de se couvrir de son châle après Schumann. C’est en grande partie pour cela, on le suppose, que les agilités n’étaient pas tout à fait au rendez-vous. Un de ses élèves, Abisal Gergiev, l’accompagne comme tourneur de page. Tout au long du récital, le jeune homme a dû retenir debout les pages (et ce malgré des pinces à linge à partir de Brahms), pour assurer à son professeur une meilleure condition de jeu.

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Programme

Mercredi 18 août à 20h30, Jardin des Enfeus, Sarlat
Sergueï Prokofiev : Sonate pour violon et piano n° 1 op. 80
Mieczyslaw Weinberg : Sonate pour violoncelle seul n° 1 op. 72
Dmitri Chostakovitch : Trio n° 2 op. 67
Geneviève Laurenceau, violon
Guillaume Martigné, violoncelle
Nicolas Stavy, piano

Jeudi 19 août à 20h30, Jardin des Enfeus, Sarlat
Robert Schumann : Arabesque op. 18
Johannes Brahms : Rhapsodies op. 70
Frédéric Chopin : Mazurkas op. 67 n° 2 et 4 ; Polonaise op. 26 n° 1
Modeste Moussorgski : Tableaux d’une exposition
Mira Yevtich, piano

Concerts présentés par Alain Duault

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