(Ceci est la version révisée d’un article paru initialement en janvier 2018 sur un autre site.)
Leonardo Pierdomenico a donné son premier récital en France, le 6 janvier, dans le cadre des concerts off des Pianissimes, après son apparition publique dans l’après-midi du même jour à l’émission Génération Jeunes Interprètes sur France Musique.
Natif de Pescara en Italie, le jeune pianiste de 25 ans est lauréat du prix du jury « Raymond E. Buck » au Concours international de piano Van Cliburn 2017. Il a également remporté le premier prix du concours de piano Premio Venezia 2011 tenu à l’Opéra La Fenice, et a été demi-finaliste au Concours International de Piano Reine Elisabeth 2016.
Diplômé de la Conservatoire Luisa D’Annunzio de sa ville natale à 17 ans, il a ensuite étudié avec Pietro De Maria à l’École de musique de Fiesole et reçu des conseils de Maria Tipo. En 2017, il a obtenu le Master à l’Académie nationale de Sainte-Cecile de Rome, sous la direction Benedetto Lupo. En 2011, il a reçu une médaille du président de la République italienne Giorgio Napolitano pour ses réalisations artistiques.
Une seule audition ne suffira certainement pas afin de pouvoir capter objectivement son caractère musical. Les murs du lieu de concert — une très belle résidence privée aménagée avec des matières dures apparentes (fer, verre…) — reflètent directement le son, sans l’amortir. Le volume relativement restreint de l’espace par rapport au piano (un beau Pleyel un quart restauré dans les ateliers Paulello) accentue la réflexion sonore, sans parler de la proximité extrême entre l’instrument et le public qui renforce cette perception. Il faudrait plus d’air libre qui vibre, afin de mieux apprécier la dimension de l’interprétation du pianiste, dans son ensemble. J’ajouterais aussi que si c’était un « vrai » concert de salon, avec quelques amis ou tout au plus une quinzaine de personnes, avec un espace aéré entre les sièges, son jeu aurait eu une autre allure, plus intime, et cette intimité aurait influencé l’écoute, plus décontractée donc plus réceptive. Le programme, virtuose et nécessitant une masse sonore importante, n’est pas non plus adapté à une telle salle.
Je vais donc livrer mes impressions sous ces conditions. Elles pourraient être fort différentes dans une salle de concert plus adaptée pour ce programme.
Il semble qu’il a beaucoup d’affinité avec Liszt, surtout celui de la période virtuose. Et c’est tout à la fin, avec la Marche du compositeur hongrois donnée en bis qu’il se montre plus à l’aise et plus libre, mettant pleinement son beau moyen technique au service de la musique. C’est sûrement la pièce qu’il connaît le mieux dans ce programme, d’autant qu’il venait de l’interpréter à l’émission de France Musique. Même remarque vaut pour la première Etude op. 10 de Chopin.
Auparavant, son Clementi est à mon goût trop romantique ; il fait certes preuve de belles expressions, où est glissé de temps à autre un rubato avec beaucoup de nuances. L’interprétation lui appartient, tout en reflétant notre époque, héritière du romantisme et du post-romantisme. En revanche, lorsque j’entends des pièces écrites dans ce style, je substitue inconsciemment le son du piano à celui du pianoforte ou du clavecin (Clementi a vécu dans la période charnière où les deux instruments coexistaient), un son assez sec et franc, mais confidentiel. trop de nuances m’intrigue donc…
Les Ballades de Liszt et de Chopin sonnent assez monotones, privés de subtilité. Les Estampes de Debussy ont les mêmes couleurs que Liszt ; la finesse des gradations de tons, l’évocation d’images diverses et variées, le chatoiement de rêves lointains… tous ces tableaux expressifs et pittoresques (dans le sens étymologique du terme) demeurent assez plats. Non, le mot « plat » n’est probablement pas approprié. Son Debussy est clair, riant. S’il manque, dans ses Estampes, de ce je-ne-sais-quoi mystérieux pour paraphraser Jankélévitch, il n’a peut-être tout simplement pas été en contact avec ce qui entoure ses compositions, ces choses insaisissables car sans forme, comme l’atmosphère, le vent, l’odeur, la pluie, la vision presque hallucinatoire de pagodes, la chaleur nonchalante de Grenade, les herbes et les feuilles mouillées déformées, battues par des gouttes d’eau… toutes ces choses teintées de couleurs si particulières du début du siècle dernier…
Une fois que ce programme imprimé terminé, les deux pièces supplémentaires prennent tout d’un coup les couleurs, et insufflent une nouvelle fraîcheur à la soirée entière.
Entendre ce pianiste dans d’autres programmes — Beethoven, Mozart, ou des œuvres du XXe et du XXIe siècles — donnera sûrement une appréciation différente, comme certaines vidéos le montrent. J’attends donc avec impatience ces occasions.
Clementi : Sonate op. 25 n° 5 au Concours Van Cliburn 2017
Chopin Ballade n° 4 op. 52 au Concours Van Cliburn 2017
6 janvier 2018, Paris 14e (résidence privé)
Programme :
Muzio Clementi (1752-1832) : Sonate op. 25 n° 5
Franz Liszt (1811-1886) : Ballade n° 2
Claude Debussy (1862-1918) : Estampes
Frédéric Chopin (1810-1849) : Ballade n° 4
Bis
Chopin : Etude op. 10 n° 1
Liszt : Marche
Pour en savoir plus : https://leonardopierdomenico.com
Photo du titre © Greta Burtini