Du 14 au 30 juillet, le Verbier Festival fête ses 30 ans. La programmation est toujours intense, avec, chaque jour, une vingtaine de concerts et manifestations pour divers publics (enfants compris) et l’Académie. En attendant le grand gala du 24 juillet, la musique s’élève aussi haute que les montagnes des Valais.
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Un questionnement
Notre court séjour commence par un récital d’Evgeny Kissin dans un programme Bach-Mozart-Chopin-Rachmaninov. Son art de mise en place est toujours intact, d’une propreté exemplaire. Tout comme Gregory Sokolov, il soigne le moindre détail, de manière irréprochable. Et comme Gregory Sokolov, tout est impeccablement réglé, chaque note trouve toujours sa place. Son exigence est si rare et si prodigieuse. Mais à mesure que la première partie avance, une question nous revient à l’esprit comme un spiral perpétuel, avec de plus en plus d’intensité. Le questionnement concerne la direction qu’une interprétation peut prendre.
Construction « bétonnée »
Kissin « bétonne » toutes les œuvres qu’il joue avec une précision mathématique magistrale.
Dans la Fantaisie chromatique et Fugue BWV 903 de J.-S. Bach, il n’y a aucun flottement ni balancement spontané pour la Fantaisie. La Fugue est construite sans faille, son jeu est et méticuleusement pensé. La Sonate de Mozart (n° 9 en ré majeur K 311) est musclée autour d’une ossature robuste, avec des affirmations constantes clairement prononcées comme dans un discours officiel et public. Il adopte un tempo assez retenu pour la Polonaise (en fa dièse mineur op. 44) et « mâche » chaque note, donnant l’impression qu’il veut examiner tous les ingrédients de la cuisine un par un, sans en mélanger aucun, afin de vérifier quelque chose… Mais quoi ?
Cependant, un coup de génie opère, une touche de mystère s’invite, lorsque, après deux passages arpégés à l’unisson et en crescendo subito avant le retour du thème initial pour la dernière partie de la pièce, il maintient la pédale forte appuyée, pour laisser résonner les harmoniques que ces arpèges ont créés. Un véritable moment magique.
Question de « jeu-x »
Ce jeu de Kissin, aussi prodigieux qu’il puisse être, est si bien placé — pour ne pas dire trop bien placé — que les marges sont difficilement perceptibles. D’où notre interrogation initialement annoncée. En effet, nous cherchons désespérément où pouvons-nous trouver des « jeux » dans sa Cathédrale de béton armé où tout est serré. Les jeux qui permettent à l’auditeur de prendre sa propre liberté dans une interprétation proposée…
Question de parti pris
S’ensuivent alors d’autres questions : vers quelle direction notre écoute s’oriente ? Où nous nous plaçons et vers où nous regardons ? Et jusqu’à quel point nous apprécions ces « jeux » ? Etc., etc.
L’interprétation d’une œuvre musicale est une chose subjective (on « interprète » une partition avec son point de vue), ainsi que l’écoute de cette interprétation. Ainsi, chacun a son parti pris. Et un parti pris ne peut pas toujours satisfaire tout le monde. Ce soir-là, le parti pris de Kissin était tourné vers une autre direction par rapport à la direction où nous sommes à l’aise. Et cette différence des directions a provoqué en nous une sorte d’indigestion… pour tout dire, ses ingrédients étaient trop copieux et denses.
Programme
JOHANN SEBASTIAN BACH (1685-1750) : Fantaisie chromatique et fugue en ré mineur BWV 903
WOLFGANG AMADEUS MOZART (1756-1791) : Sonate pour piano N° 9 en ré majeur K. 311
FRÉDÉRIC CHOPIN (1810-1849) : Polonaise en fa dièse mineur op. 44
– Entracte –
SERGUEÏ RACHMANINOFF (1873-1943)
Lilacs op. 21 N° 5
Prélude op. 32 N° 8 en la mineur
Prélude op. 23 N° 10 en sol bémol majeur
Cinq Études-Tableaux op. 39
– N° 1 en ut mineur « Allegro agitato »
– N° 2 en la mineur « Lento assai »
– N° 4 en si mineur « Allegro assai »
– N° 5 en mi bémol mineur « Appassionato »
– N° 9 en ré majeur « Allegro moderato. Tempo di marcia »
Evgeny Kissin, piano
19 juillet 2023 à 18h30
Salle des Combins, Verbier Festival (Suisse)