Créé l’année dernière, le festival Rosa Bonheur se déroule sous la direction artistique de Lou Brault dans un domaine où vécut la peintre animalière Rosa Bonheur (1822-1899). Dans un jardin arboré attenant à la forêt de Fontainebleau, une tente rose-blanche est dressée pour des concerts en plein air, dans une atmosphère champêtre.
Le dimanche 15 août, trois artistes y ont présenté leur nouveau programme, « Un lieu à soi : Londres 1929 ».
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Un lieu à soi (A Room of One’s Own) est un essai féministe que publia Virginia Wolf en 1929. En lien avec son idée qui revendique un espace de liberté pour les femmes, le concert met en avant deux compositrices britanniques actives dans la première moitié du XXe siècle : Rebecca Clarke (1886-1979) et Ethel Smyth (1848-1954). Viennent Franck Bridge, Roger Quilter et Ivor Novello, pour compléter ce petit panorama musical de l’entre-deux-guerres anglais.
« Le propos ici n’est évidemment pas de les opposer ni de les confronter mais plutôt de nourrir l’espace identitaire et poétique de la création musicale anglaise, en regard inclusif de la création féminine », affirme Samuel Hengebaert, concepteur du programme. Dans cette période de renouveau autour de la tradition du song, certains songs de Clark et de Smyth, interprétées cet après-midi, trouvent de manière évidente leurs origines dans les chants irlandais ou écossais, ceux que Beethoven et autres compositeurs ont harmonisés un siècle plus tôt. On en perçoit également les traces dans les chansons populaires américaines, par exemple de Foster. Une certaine touche de nostalgie embaume le programme, qui ressemble à un fleuve de part la fluidité dans l’enchainement des pièces.
Florilège de partitions anglaises
En effet, ce programme, un florilège de partitions anglaises, mêle des textes (essentiellement de Virginia Woolf mais aussi de Charlotte Brontë et un article du journal l’Humanité de 1918), des pièces instrumentales (piano solo, alto et piano) et la voix, sous diverses formations. C’est dans les chansons avec alto (originellement avec violon) que l’on sent le plus l’influence populaire. Cela évoque des soirées à une taverne ou à un pub où on chante spontanément au moyen de bord. Il s’agit de I know my love et As I was goin’to Ballynure de Rebecca Clark, même si les compositions sont plus sophistiquées sur le plan harmonique que les chansons populaires. En effet, les harmonies chez Clark sont riches et originales, et son originalité donne parfois une sensation d’étrangeté. La formation rare constituée de voix, alto et piano chez Franck Bridge confère un autre type de richesse, souvent sensuelle (Far far from each other ; Music, when soft voices die). En revanche, pour la même formation, The Marche of the women d’Ethel Smyth est un hymne plein de fougue, aspect encore davantage mis en valeur avec la lecture enthousiaste de Samuel Hengebaert, juste auparavant, de l’article revendicateur du journal L’Humanité qui imagine les conditions des femmes cent ans plus tard.
Les personnalités affirmés des quatre interprètes
Les quatre interprètes du Collectif Acte 6 apportent chacun leur personnalité affirmée à ce florilège de musique anglaise. La mezzo soprano Anaïs Bertrand prête sa voix somptueuse à ce manifeste musical. Sa diction et son articulation parfaites augmentent indéniablement le plaisir de l’entendre, tout aussi le soutien solide qui permet une émission généreuse aussi bien que le maintien de notes qui disparaissent tout en délicatesse à la fin d’une pièce. À l’alto, Hélène Desaint apporte des couleurs multiples selon les œuvres. Avec Alexis Gournel, elle interprète merveilleusement « Impetuoso », extrait de la Sonate pour alto et piano de Clarke. Elle exprime le lyrisme dans tous ses états, de plus doux au plus pétulant. Si le son des cordes est diffus à l’extérieur, elle réussit à faire corps avec le piano et voix pour créer une belle unité. Les doigts d’Alexis Gournel sont sensibles à la beauté. Waltz of my heart d’Ivor Novello, ainsi que Raimbow Land et Will o’the Wisp de Roger Quilter qu’il joue en solo, sont des « pièces de salon » de facture, mais il sait tirer des meilleurs de ces compositions sans jamais tomber dans la facilité. Samuel Hengebaert joue pour la première fois le rôle de récitant en abandonnant son instrument (violoncello da spalla, courant au XVIIe et XVIIIe siècle).
Le programme va s’étoffer avec la partie baroque et sera présenté prochainement.
Programme
Songs et pièces instrumentales de Rebecca Clark, Ethel Smyth, Franck Bridge, Roger Quilter, Ivor Novello ; texte de Virginia Woolf, Charlotte Brontë, article de L’Humanité, 9 février 1918.