C’est à Paris, les 4 et 5 septembre, que l’Orchestre Philharmonique de Berlin a clôturé sa tournée de festivals d’été. Après la participation traditionnelle aux festivals de Salzbourg et de Lucerne, la phalange berlinoise et son chef Kirill Petrenko arrivent à Paris, pour la première fois ensemble à la Philharmonie de. Ils ont joué deux programmes complets de la tournée, l’un, autour du romantisme allemand et son héritage, et l’autre, d’œuvres de compositeurs slaves.
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Dès l’ouverture d’Obéron, le 4 septembre, le Berliner Philharmoniker montre pleinement son excellence incontestée. La cohésion qui ne laisse aucune hésitation, même à une fraction de seconde ; la sonorité des cordes mate mais sonore ; les bois qui ne cassent jamais l’harmonie de l’ensemble ; les cuivres infiniment brillants ou très sobres selon les pages… Et on entend tous les pupitres sans qu’aucun d’entre eux ne soit noyé par la masse orchestrale, dans un équilibre miraculeusement juste. Avoir un caractère bien propre dans chaque section et s’imposer en même temps en tant qu’une entité : voilà ce que peu d’orchestres pourraient réussir à un degré aussi élevé de perfectionnement.
Flexibilité de tempo
Kirill Petrenko dirige avec une grande flexibilité, en modelant le tempo parfois de manière inattendue. Des ritardandi à la fois très audibles et subtiles, créant un effet de surprise, et lorsqu’ils reviennent au tempo initial, un émerveillement s’installe. Petrenko prend le temps d’insuffler de l’air à la musique, tel un ballon souple, pour mieux repartir ensuite sur un nouveau motif, sur une nouvelle idée musicale. Et à chaque fois, il propose des timbres richement variés. Ainsi, out au long des deux soirées, à plusieurs reprises, le tempo créé une fraicheur. Le chef propose une interprétation qui, tout en étant ancrée dans la tradition — il n’y a rien d’extravagant, rien d’insolite —, marque fortement son empreinte.
Intelligence du programme
Les programmes des deux soirées mélangent avec intelligence des œuvres connues, voire archi-connue comme la Symphonie « Grande » de Schubert, et méconnus : Métamorphoses symphoniques de Paul Hindemith et Un conte d’été de Joseph Suk. En écho à l’ouverture d’Obéron, les Métamorphoses symphoniques transforment les motifs de Weber jusqu’à devenir méconnaissables, dans une orchestration à des timbres multiples. Il faut quand même avouer que peu de gens reconnaitront la partition originale de Weber ; Qui sait aujourd’hui fredonner les mélodies de Huit pièces pour piano à quatre mains op. 60 ou de Turandot ? Mais on perçoit largement leurs « métamorphoses », comme le montre notamment un étonnant mouvement de scherzo jazzy.
Un conte d’été de Suk, un récit musical cinématographique
Dans Un Conte d’été, qui brille également pour son orchestration luxuriante et colorie, mais aussi pour ses contrastes de caractères et d’évocation de la nature. Paisibles et sereines, inquiétantes et agitées, ces peintures sonores figuratives aux pinceaux habiles sont de la main d’un véritable maître. Des solos sont nombreux : la flûte transcendante d’Emmanuel Pahud, le hautbois enchanteur de Jonathan Kelly, le basson envoûtant de Daniele Damiano, la clarinette charmeuse de Wenzel Fuchs, mais aussi le duo de violon-alto enivrant avec Daishin Kashimoto et Naoko Shimizu. Ces solos comme des personnages principaux qui se détachent du décor, d’un arrière-plan, pour des actions animées. On dirait des scènes de film, un récit musical cinématographique.
Anna Vinnitskaya joue Prokofiev en toute majesté
La pianiste russe Anna Vinnitskaya collabore régulièrement avec le chef et l’orchestre, mais c’est la première fois qu’elle accompagne cette formation dans une tournée. Dans le Premier Concerto de Prokoviev, on admire la clarté de ses propos. Pour donner l’accent aux octaves et aux accords répétés, les avant-bras d’Anna Vinnitskaya « sautent » comme de véritable ressort, la vue est spectaculaire. Mais ce n’est évidemment pas la vue qui détermine la qualité de son interprétation. À l’instar de l’orchestre, elle sait conjuguer des éléments opposés sous ses doits parfaitement contrôlés : la souplesse et la fermeté, la douceur et le percussif, la tendresse et l’agressivité. La sonorité est radieuse et étincelante, la construction de phrases naturellement précise… En bref, elle est dans ses éléments. Communicative, elle transmet sa passion et son bonheur de jouer à l’auditoire qui, profondément charmé par son jeu, lui réserve à son tour une salve d’applaudissements.
Ce concert galvanisant symbolisait le désir et l’enthousiasme de vivre la musique en direct, à la fois des interprètes et des spectateurs, en préfigurant une saison foisonnante.
Si les musiciens de l’orchestre ont pu profité de la ville lumière avant leur premier concert parisien, le 5 septembre, le violoncelliste Richard Duven a donné son dernier concert au sein de la phalange berlinoise après 35 de service.
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Programme
Samedi 4 septembre – 20h30
Carl Maria von Weber : Ouverture d’Oberon
Paul Hindemith : Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Carl Maria von Weber
I. Allegro
II. Turandot, Scherzo
III. Andantino
IV. Marsch
Franz Schubert : Symphonie n. 9 en ut majeur « La Grande » D 944
I. Andante – Allegro ma non troppo
II. Andante con moto
III. Scherzo. Allegro vivace
IV. Allegro vivace
Dimanche 5 septembre – 16h30
Piotr Ilitch Tchaïkovski : Roméo et Juliette, ouverture-fantaisie
Sergueï Prokofiev : Concerto pour piano no 1
I. Allegro brioso
II. Andante assai
III. Allegro scherzando
Josef Suk : Un conte d’été op. 29
I. Voix de la vie et de la consolation
II. Midi
III. Les Musiciens aveugles
IV. Au pouvoir des fantômes
V. Nuit
Berliner Philharmoniker ; Kirill Petrenko, direction ; Anna Vinnitskaya, piano
Paris, Philharmonie, Grande Salle Pierre-Boulez