L’Orchestre Les Siècles fêtent ses 20 ans cette année 2023 et effectuent une tournée avec un programme entièrement constitué de musique française. Le 10 janvier, les musiciens se sont posés au Théâtre des Champs-Elysées, le lieu de leur résidence parisienne.
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La tournée anniversaire
La tournée anniversaire pour les 20 ans des Siècles a commencé le 5 janvier à Tourcoing dont François-Xavier Roth est directeur artistique de l’Atelier Lyrique depuis 2019, et se termine le 12 à Lieusaint. Le programme des 8 concerts dans 5 villes françaises de la tournée est constitué d’œuvres de compositeurs français du tournant des XIXe et XXe siècles, qui rappelle la soirée de l’inauguration du Théâtre des Champs-Elysées. C’est avec la musique française que l’Orchestre a construit sa réputation dans le monde. En 2008, son premier disque comprenait le Concerto pour orgue de Francis Poulenc, suivi par la Symphonie fantastique de Hector Berlioz et tant d’autres œuvres connues et inconnues. C’est une grande joie de retrouver et reconfirmer l’ADN de l’orchestre à cette occasion.
Réveille et épanouissement
La soirée commence par Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy. C’est le début du concert, l’orchestre n’est pas encore chauffé. Idem pour la flûte : elle doit rendre audible la musique, latente l’atmosphère, comme le vent se lève. Tout est encore sec, y compris la salle, et la sensualité ne s’exprime qu’à moitié. Au fil des cinq pièces de la première suite de Namouna (Edouard Lalo), progressivement, les instruments se réveillent et leurs sons s’épanouissent. François-Xavier Roth fait tirer le timbre spécifique de chaque pupitre, augmenté par des jeux rythmiques vifs et variés. Les instruments français de la fin du XIXe siècle mettent en relief l’écriture qui privilégie chaque instrument et vice-versa. Ces timbres et ces rythmes réunis, la partition composée par Lalo donne une intensité plus adaptée à une suite symphonique voire un poème symphonique, plutôt qu’une suite de ballet.
Exploration de timbres
L’exploration de timbres continue dans la deuxième suite de Bacchus et Ariane d’Albert Roussel. Le son est désormais ouvert, avec plus de richesse dans la profondeur et dans la longueur. Il place les contrebasses au fond, là où il y a habituellement les percussions, et celles-ci sont regroupées à droite en regardant la scène de la salle, derrière les cordes. Cette configuration renforce le socle harmonique avec l’émission frontale du son des contrebasses, sans que la brillance ou parfois la tonitruance des percussions ne couvre celles-ci. Cela crée un apport sonore quelque peu inattendu mais finement adapté à ce type de répertoire.
Tout au long de la première partie, et on le constatera également après l’entracte, on assiste à une métamorphose de la flûte solo : un son sec du début se transforme en un autre son plus large, tantôt brut tantôt suave selon les moments.
Massenet populaire et Dukas magique
Dans la deuxième partie, nous sommes d’abord surpris par le caractère populaire de Jules Massenet dans ses Scènes alsaciennes. La partition festive propose peu de chromatismes que l’on imagine immédiatement chez lui. « Sous les tilleuls » apaisant et tendre, avec des cloches dans la salle et un très beau duo entre le violoncelle et la clarinette, avant d’assister à une fête de « Dimanche soir » où le rythme frénétique entraîne l’auditoire dans une fièvre collective. Les cuivres, on dira plutôt les fifres et tambours, placés dans la salle, renforcent la festivité. Avec quelques passages qui rappellent Bizet, c’est dans la coda de cette dernière pièce qu’on trouve un léger chromatisme passager que François-Xavier Roth met discrètement en valeur, comme un clin d’œil sur Werther.
Ensuite vient un magistral Apprenti sorcier de Paul Dukas. C’est un véritable foisonnement d’effets, notamment avec des pauses plus larges que ce qu’on entend habituellement, comme si l’apprenti sorcier arrêtait malencontreusement le temps. C’est un véritable festival de timbre, les harmonies espiègles et déterminées, les percussions piquantes, auxquelles les cordes se rejoignent pour dessiner l’air invisible qui entoure le petit monstre qui devient incontrôlable. La précipitation vers la fin, avant l’arrivée du maître, est irrésistible.
Pour conclure la soirée, La Valse de Maurice Ravel. Là, le plan sonore savamment construit perd quelque peu l’élan, faisant à son tour perdre la folie à laquelle on attend. Les sonorités, probablement par souci de les varier, deviennent par endroits hachées et saccadées. En bref, l’interprétation est trop réfléchie et ne laisse pas l’instinct se précipiter dans l’abîme de l’obscurité humaine.
Du début à la fin, François-Xavier Roth dirige en dansant, sautant, vacillant, se balançant. Ses gestes dégagent une certaine légèreté qui caractérise souvent les courtes pièces entendues dans la soirée. Ce festival de timbres se referme avec l’« Adagietto » de L’Arlésienne de Georges Bizet. La suavité des cordes, rêveuses et célestes, apaise l’exaltation vécue au cours de ce concert anniversaire.
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Programme
Claude Debussy (1862-1918)
Prélude à l’après-midi d’un faune, églogue pour orchestre d’après Stéphane Mallarmé
Edouard Lalo (1823-1892)
Namouna, suite n° 1 tirée du ballet intégral
1. Prélude ; 2. Sérénade ; 3. Thème varié ; 4. Parade de foire 5. Fête foraine
Albert Roussel (1869-1937)
Bacchus et Ariane, suite n° 2
1. Andante ; 2. Adagio ; 3. Allegro – Scherzo ; 4. Andante ; 5. Andante ; 6. Moderato pesante ; 7. Allegro brillante
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Jules Massenet (1842-1912)
Scènes alsaciennes, suite d’orchestre
Dimanche matin – Au cabaret – Sous les tilleuls – Dimanche soir
Paul Dukas (1865-1935)
L’Apprenti sorcier, poème symphonique
Maurice Ravel (1875-1937)
La Valse, poème chorégraphique
Les Siècles
François-Xavier Roth, direction
Interprétation sur instruments français de la fin du XIXe siècle
Coproduction Théâtre des Champs-Elysées / Les Siècles en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane
Le concert est diffusé sur Mezzo et prochainement sur TCE Live