Le claveciniste et organiste Marouan Manker-Bennis nous propose un joyeux voyage fictif en Sisile. À l’origine, un texte d’Alexandre Dumas, La Méditerranée et ses côtes (1834). Les pages dans son carnet de croquis musical sont colorées, à l’image de bullet journal qu’on s’amuse à remplir selon les humeurs du moment. Tout au long de ce voyage, on croise un illustre inconnu, le compositeur sicilien Bernardo Strace, mais on entend aussi des bruits de ville, de radio, de fêtes, ainsi que des « témoignages » récités avec la vocalité italienne si chantante.
De Bernardo Strace on ne sait presque rien, excepté un recueil de pièces de clavecin et d’orgue publié en 1664. Ce personnage mystérieux renforce le caractère imaginaire de ce voyage que Marouan Manker-Bennis assume entièrement. Pour nous aider à aiguiser l’imagination, il offre un joli recueil de textes en guise de livret, une citation littéraire pour chaque pièce.
Bernardo Strace, recueil de pièces pour clavecin et orgue, ouvertures, 1664.
Différents paysages dessinés sur trois instruments
Les compositions de Bernardo Strace sont très variées et passent par tous les états. De l’austérité de Ricercare au rythme dansant à la basse obstinée de Ciaccona, en passant par le joyeux Balletto della Battaglia et les sereins Passagagli in modo pastorale, chaque pièce propose un paysage.
Afin de dessiner ces différents paysages, le musicien fait sonner trois instruments : l’orgue historique espagnol Buenafuente del Sistal (1768), restauré par l’atelier des frères Desmottes en 2014, Église Saint-Éloi de Fresnes ; un clavecin italien d’après Giusti (1681) par Sean Rawnsley, 2001 ; et une épinette italienne d’après un instrument anonyme (1626), Museum der Universität Leipzig par Jean-François Brun, 2016.
Le choix de l’instrument est convaincant tant la sonorité et le jeu, naturel, vif et lumineux, correspondent au caractère de la pièce. De là on peut mesurer la sensibilité du claviériste plein d’imagination et de fantaisie. L’éloquence de son jeu, qui demeure toutefois simple, fait transparaître cette fantaisie qui peut être parfois ombrageuse, notamment ces dissonances intrigantes dans Rocercar di Legature.
Certains paysages sont accentués par des sons de percussions, rendant notre expérience encore plus vivante.
Un aller-retour en permanence entre la musique du temps ancien et les bruits de la Sicile d’aujourd’hui, entre l’intérieur de l’édifice sombre et frais et l’extérieur sous un soleil radieux et ardent, ce disque à la manière d’un film docu-fiction nous invite à un véritable voyage spatio-temporel.
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In Modo Pastorale, 1 CD Encelade ECL2101. Enregistrement en octobre 2020 au Domaine de la Chaux, Alligny en Morvan (Nièvre) et en octobre 2021 en l’église Saint-Eloi de Fresnes (Val-de-Marne). Durée : 77’
