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À Nîmes, la naissance d’un festival dont on parlera pour longtemps

Rencontres musicales de Nîmes #1

par Victoria Okada

Un nouveau festival de musique classique, Rencontres musicales de Nîmes, s’est créé grâce à l’amitié de trois jeunes musiciens : la violoniste Liya Petrova, le violoncelliste Aurélien Pascal et le pianiste Alexandre Kantorow. Le 17 août dernier, le concert inaugural sous le thème de « Genèse » laisse présage un développement significatif de la manifestation.

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Cela fait quelque temps que Liya Petrova, Aurélien Pascal et Alexandre Kantorow, projetaient de créer une occasion de se réunir pour « faire de la musique ensemble », selon ce dernier. En effet, les trois amis, bien que proches, ne faisaient que se croiser à cause de leurs emplois du temps. C’est désormais chose faite avec la création des Rencontres Musicales de Nîmes, grâce auxquelles ils se retrouvent dans l’esprit de stage intensif, en passant quelques jours ensemble en invitant d’autres amis musiciens.

 

Liya Patrova, Alexandre Kantorow et Aurélien Pascal, trois co-directeurs artistiques des Rencontres Musicales de Nîmes, 17 août 2022 au Grand Temple de Nîmes © Thomas Manillier

 

Le concert inaugural sous le thème de « Genèse »

Le concert inaugural du 17 août, initialement prévu au cloître des Jésuites, est déplacé au Grand Temple de Nîmes à cause de l’intempérie annoncée dès la veille. Juste avant le concert, l’orage s’éclate violemment, avec une pluie diluvienne qui s’abat sur la cité antique. Philippe Bernhard, directeur du Festival, prolonge volontairement son discours de remerciement « afin de laisser arriver les retardateurs bloqués sous la pluie », en ajoutant quelques commentaires sur chaque œuvre du programme.
Le thème du concert, « Genèse », avait été choisi d’abord pour marquer la naissance du Festival, mais également pour mettre en avant des premières œuvres de grands compositeurs dans leurs débuts. Le programme est construit en miroir : pour la première partie, le Trio avec piano op. 1 n° 1 de Ludwig van Beethoven dans le style encore bien classique, associé à Langsamer Satz d’Anton Webern du début du XXe siècle. Elle fait écho, dans la seconde partie, au Trio à cordes D 471 de Franz Schubert (début de la période romantique) et au Quintette à cordes d’Erich Korngold (années 1920). Tous les musiciens du Festival, excepté Adam Laloum qui rejoindra le lendemain, sont présents dans une répartition équitable, sans que l’un(e) d’entre eux ne soit particulièrement mis(e) en lumière. Cet esprit démocratique est d’ailleurs présent sur le programme où la biographie des musiciens est volontairement absente. En effet, selon eux, le nom de l’institution où ils ont étudié et les prix qu’ils ont obtenus à des concours internationaux importent peu ! Cela se concrétise aussi par le fait qu’un(e) musicien(ne) tourne les pages pour les pianistes, à tour de rôle, au lieu de faire appel à un(e) tourneur(se) de page qui se cantonne uniquement à ce rôle dans l’ombre.

 

Arènes de Nîmes © Victoria Okada

 

La grâce

L’espace rectangulaire du Grand Temple est pourvu d’une acoustique très généreuse, mais le son ne tourne pas. Si bien que chaque instrument s’entend assez distinctement, et quelque crainte avant le concert sur l’intelligibilité de la partition est vite dissipée. Cette acoustique rend la sonorité crémeuse, quel que soit l’instrument. Ainsi, les premières notes du Trio de Beethoven sonnent onctueuses et c’est un pur émerveillement. Nous sommes un peu comme des enfants enchantés devant un paysage de conte de fées. Cet émerveillement demeure tout au long de la soirée. Les trois codirecteurs artistiques profitent de la sonorité rendue riche pour modeler les expressions tour à tour entraînantes, douces, légères et espiègles.
Dans Webern, le violoniste Shuichi Okada* se fait immédiatement remarquer par son excellence. Il est d’ailleurs l’un des musiciens qui forment le noyau du Centre de Musique de Chambre de Paris dirigé par Jérôme Pernoo. Il y a une véritable complicité entre lui, la violoniste Charlotte Juillard, l’altiste Grégoire Vecchioni et le violoncelliste Victor Julien-Lafferière. Bien qu’ils ne forment pas un quatuor constitué, leur interprétation fait transparaître clairement qu’ils sont sur la même longueur d’onde, en respirant le même air et en parlant avec le même langage.
Tout au long de cette première partie, le mot « grâce » revient souvent à l’esprit. La beauté de la sonorité du piano et des cordes, le naturel des phrasés ; une note ou un accord lancé avec simplicité, des dialogues constamment nourris entre les instruments… Tout est réalisé avec une telle grâce qui confirme la haute musicalité de ces jeunes interprètes.

 

Liya Patrova, Alexandre Kantorow et Aurélien Pascal, trois co-directeurs artistiques des Rencontres Musicales de Nîmes, 17 août 2022 au Grand Temple de Nîmes © Thomas Manillier

 

Une interactivité électrisante

Dans la deuxième partie, Schuichi Okada, Adrien Boisseau et Aurélien Pascal se montrent très souples pour le premier mouvement du Trio en si bémol majeur de Schubert, souples dans le chant et dans l’harmonie. Le clou de la soirée est incontestablement le Quintette de Korngold, injustement méconnu et par conséquent très peu joué. Cette œuvre épique, parsemée de nombreuses montées et retombées de tensions ainsi que de séquences exaltantes, pourrait accompagner un film d’aventures de grandes productions hollywoodiennes (d’ailleurs, le compositeur fera une carrière dans ce genre). Elle est servie par Charlotte Juillard, Shuichi Okada, Adrien Boisseau, Victor Julien-Laferrière et Alexandre Kantorow qui galvanisent littéralement l’auditoire par une fusion musicale rare. L’écoute plus qu’attentive du public joue sa grande partie dans cette expérience unique. On sent intensément que les musiciens reçoivent l’attente de la salle pour aller plus loin, créant une interactivité électrisante.

Chair de poule

Tout au long du concert, une idée revient souvent à l’esprit : nous assistons à la naissance de quelque chose qui s’installera durablement et dont on parlera pour longtemps. Leurs amitiés et leurs génies évoquent, et nous n’exagérons aucunement en l’affirmant, des formations telles que Cortot-Thibaud-Casals, Rubinstein-Heifetz-Piatigorsky, ou à bien d’autres encore qui ont marqué l’histoire de l’interprétation. À leurs tours, ils y laisseront leurs empreintes dans les annales des concerts les plus remarquables. À cette pensée intimement convaincue, nous frissonnons jusqu’à avoir la chair de poule. Mais pour l’heure, ce n’est pas cette pensée qui fait dresser les poils mais bien leurs interprétations exaltées et exaltantes.

 

 

* L’autrice de ces lignes n’a aucun lien de parenté avec le musicien, ce patronyme étant très répandu.

Photos © Thomas Manillier

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