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Don Carlos à l’Opéra Bastille

un retour en version initiale marquée par la force et l'excellence musicale

par Victoria Okada

La reprise à l’Opéra Bastille de Don Carlos de Verdi, dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski créée en 2017, constitue un moment fort de la saison, tant par son choix musical que par la qualité de son interprétation.

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La version originelle de 1867, en français, est de retour sur la scène parisienne, avec toutes les pages que le compositeur avait écartées avant la création. Cette version permet d’entendre des passages rarement donnés, comme le duo initial Philippe-Rodrigue avec cabalette, ou certaines scènes élargies du quatrième acte, offrant une richesse dramaturgique et musicale telle que Verdi l’avait conçue à l’origine.

 

Une distribution vocale d’exception

Cette production se distingue avant tout par un plateau vocal remarquable, qui compense largement les quelques frustrations liées à la mise en scène (abordée plus loin). Marina Rebeka, dans le rôle d’Élisabeth, impressionne par la puissance dramatique de son timbre et la finesse de son phrasé. Elle incarne une reine noble, douloureusement contrainte par le devoir, et livre un portrait vocalement accompli. L’air « Ô ma chère compagne » constitue notamment un sommet de la soirée.
Dans le rôle-titre, Charles Castronovo brille par une approche sensible et introspective. Sa voix, empreinte d’intimité, se révèle idéale pour exprimer la mélancolie du personnage. Son jeu scénique, en quête de vérité, ajoute une profondeur humaine à ce Don Carlos écartelé entre amour, idéaux et impuissance.

Charles Casternovo & Marina Rebeka dans Don Carlos de Verdi à l’Opéra Bastille, 2025 © Franck Ferville / OnP

Ekaterina Gubanova campe une Eboli tourmentée, dont elle traduit parfaitement les contradictions. Christian Van Horn, dans le rôle de Philippe II, impose sa stature vocale avec un legato et une projection impressionnants. Il incarne avec intensité un souverain broyé par le pouvoir, comme en témoigne un poignant « Elle ne m’aime pas ».

Christian van Horn & Ekaterina Gubanova dans Don Carlos de Verdi à l’Opéra Bastille, 2025 © Franck Ferville / OnP

Le Posa d’Andrzej Filończyk séduit par la beauté de son timbre et son intelligence musicale, notamment dans son dernier air, interprété dans un souffle presque inhumain.
Les seconds rôles sont également à l’honneur : Alexander Tsymbalyuk est un Grand Inquisiteur glaçant et profond, Sava Vemić convainc en frère mystique, et Manase Latu se distingue par sa diction exemplaire en Comte de Lerme. Marine Chagnon, issue de la troupe lyrique de l’Opéra de Paris, incarne un Thibault d’une grande clarté. La distribution s’avère ainsi homogène, chaque artiste contribuant à la solidité de cette fresque dramatique.

Charles Casternovo dans Don Carlos de Verdi à l’Opéra Bastille, 2025 © Franck Ferville / OnP

 

Une mise en scène introspective

La mise en scène de Warlikowski s’attache à l’exploration psychologique des personnages, reléguant au second plan la dimension historique et politique. Les vastes décors et les cages — marque de fabrique du metteur en scène — instaurent une forme de distanciation, accentuant la solitude et la souffrance des protagonistes. L’esthétique, marquée par des lignes droites, évoque une froideur presque clinique. Certaines scènes, comme l’autodafé traité de façon introspective, ou la forêt de Fontainebleau représentée comme un paysage mental, intriguent d’abord, puis invitent à une réflexion sur leur portée symbolique.

Don Carlos de Verdi à l’Opéra Bastille, 2025 © Franck Ferville / OnP

 

Direction musicale d’une grande finesse

Simone Young dirige l’orchestre avec une précision et une intelligence dramatique remarquables. Sa lecture raffinée met en valeur l’orchestration verdienne dans toute sa subtilité, rendant l’expressivité dramatique sans verser dans la grandiloquence. Le chœur, préparé par Ching-Lien Wu, se distingue par sa justesse et son engagement.

Alexander Tsymbalyuk & Christian van Horn dans Don Carlos de Verdi à l’Opéra Bastille, 2025 © Franck Ferville / OnP

 

Cette reprise de Don Carlos s’impose comme un événement majeur de la saison, tant par la rareté de la version musicale proposée que par l’excellence de son interprétation vocale et orchestrale. Si la mise en scène de Warlikowski continue de diviser, elle a le mérite d’imposer une lecture personnelle et cohérente, qui privilégie les zones d’ombre de l’âme humaine. Un choix radical mais assumé, qui installe une tension plus cérébrale que spectaculaire.

Représentation du 9 avril, Opéra Bastille

Don Carlos, opéra en cinq actes (1867)

Musique : Giuseppe Verdi (1813-1901)
Livret : Joseph Méry, Camille du Locle
D’après Friedrich von Schiller

Direction musicale Simone Young
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Denis Guéguin
Collaborateur artistique Claude Bardouil
Dramaturgie Christian Longchamp
Cheffe des Chœurs Ching-Lien Wu
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris

Philippe II Christian Van Horn
Don Carlos Charles Catronovo
Rodrigue Andrzej Filończyk
Le Grand Inquisiteur Alexander Tsymbalyuk
Un moine Sava Vemić
Élisabeth de Valois Marina Rebeka
La Princesse Eboli Ekaterina Gubanova
Thibault Marine Chagnon
Une voix d’en haut Teona Todua
Le Comte de Lerme Manase Latu
Un hérault royal Hyun-Jong Roh
Un coryphée Christian Rodrigue Moungoungou
Six Députés flamands Amin Ahangaran**, Niall Anderson, Alejandro Baliñas Vieites**, Vartan Gabrielian**, Florent Mbia**, Milan Perišić
** Artiste de la Troupe lyrique de l’Opéra national de Paris

Information et réservation : https://www.operadeparis.fr/saison-24-25/opera/don-carlos

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