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Carmen à Opéra-Comique : l’Orchestre en majesté

Gaëlle Arquez triomphe en Carmen

par Victoria Okada
Gaëlle Arquez en Carmen

Carmen est de retour sur la scène du théâtre où elle est née. À l’Opéra-Comique, la production d’Andreas Homoki se démarque par la fosse : l’Orchestre des Champs-Elysées dirigé par Louis Langrée, le patron de la maison depuis un peu plus d’un an. Quant au plateau vocal, il est dominé par Gaëlle Arquez sur un ensemble équilibré.

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Délice orchestral

On n’a jamais été aussi attentif à ce qui se passe dans la fosse dans une production d’opéra ! De l’ouverture à l’allure vive, jusqu’à la note finale qui s’éteint délicatement, l’Orchestre des Champs-Elysées sous la direction de Louis Langrée fait succéder des couleurs « inédites », tour à tour douce, suave, relevée, voilée, mielleuse, épicée… Des adjectifs ne manquent pas, tant la sonorité de chaque instrument et de chaque moment diffère de ce que nous sommes habitués à entendre. Cette gourmandise sonore est particulièrement séduisante aux pupitres des vents ; les cors légèrement acidulés, les hautbois poivrés, les flûtes champêtres, les trompettes et les trombones flamboyants mais ce n’est pas excessif… Et ce sont eux qui assurent également la musique de scène dans les coulisses, dont l’effet fascine encore davantage. Au prélude de l’acte III, les flûtes sont plus directes et sobres par rapport aux flûtes modernes amples et sonores, mais quelle grâce. Et les cors qui accompagnent l’air de Micaëla dans le même acte, c’est un véritable délice ! Louis Langrée ajoute — en tout cas nous avons entendu ainsi — une couleur wagnérienne à l’orchestre lorsque Don José interroge pour la dernière fois son idole : « Tu ne m’aimes donc plus ». Ces changements de registre sonore sont tous révélateurs ; entre la version courante et la présente version, il y a autant de différence, sinon plus, entre la version avec récitatifs et celle d’opéra-comique.

Le plateau vocal dominé par Gaëlle Arquez

Sur la scène, Gaëlle Arquez est une Carmen absolument convaincante. Élégante malgré le caractère bien trompé de l’héroïne, elle s’impose par sa voix bonifiée, mais aussi par son maintien scénique plein d’autorité naturelle. Au faîte de son art, elle explore tout son potentiel et on se régale à chaque moment de son chant et à chacun de ses gestes, jusqu’au regard froid jeté sur Don José au dernier acte. Frédéric Antoun incarne un Don José fragilisé par passion plutôt qu’aveuglé par amour. Son très beau timbre dans le médium ravit nos oreilles, mais ses aigus, bien qu’habilement compensés, peine à résonner. On se demande alors s’il n’est pas plus juste pour lui de prendre des rôles de baryton que de ténor. La Kosovare Elbenita Kajtazi campe Micaëla grâce à son instrument puissant et la droit, mais quelque peu métallique. Copieusement applaudit au moment de salut, elle fait ses beaux débuts à l’Opéra-Comique. Jean-Ferrand Setti est un Escamillo viril et imposant à souhait mais un peu en déséquilibre par rapport au reste de la distribution, quoique cela corresponde au côté « star » du toréro. Jean-Christophe Lanièce ouvre l’opéra en se détachant du chœur des soldats, et nous sommes immédiatement rassurés pour toute la soirée grâce à son chant bien à l’aise qui augure la qualité du spectacle. Dans la bande de Lillas Pastia, Norma Nahoun (Frasquita) et Aliénor Feix (Mercédès), puis Matthieu Walendzik (Le Dancaïr) et Paco Garcia (Le Réméndado) forment deux duos vifs et pétillants. Les deux jeunes femmes, notamment, font preuve d’une solidité vocale qui renforce encore davantage le plateau. Enfin, un autre plaisir musical et théâtral vient de l’excellent François Lis en Zuniga à la fois hautain et vulnérable, complétant définitivement ce plateau alléchant. N’oublions pas le chœur Accentus et la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique, idéalement préparés par Christophe Grapperon et Clara Bernier.

La mise en scène fait traverser le temps et neutralise l’espace

La mise en scène d’Andreas Homoki est débarrassée de tout hispanisme et tente de montrer l’universalité de Carmen par les costumes qui traversent les siècles (Gideon Davey). Les soldats sont vêtus comme des bourgeois de la fin du XIXe siècle avec des hauts-de-forme, accompagnés de leurs dames en robe d’apparat, comme dans des tableaux de James Tissot ou de Jean Béraud. Les cigarières ressemblent à des prostitués de cabarets parisiens mais avec des sous-jupes amples et des coiffures sophistiquées de bourgeoises. Ensuite, la scène de contrebande se déroule sous l’occupation allemande et les spectateurs de toréro sont des téléspectateurs d’aujourd’hui qui font la fête à la victoire d’Escamillo, comme des supporteurs de football.

Le décor dépouillé est constitué essentiellement de rideaux de théâtre (Paul Zoller), comme pour neutraliser tout espace géographique. Ces rideaux servent d’un cadre du théâtre, probablement pour montrer que l’histoire relève du théâtre. Il y a une cohérence dans ce point de vue. Cependant, pour un opéra à qui on peut attribuer, dans une certaine mesure, le statut de précurseur du vérisme, cela suscite une certaine frustration. De surcroît, entre les actes I et II puis III et IV, l’absence du changement visible de lieux et de situations et le fait que les personnages restent sur scène avec quelques secondes de silence et d’inaction, donc de temps mort, ne permet pas de suivre l’évolution de l’histoire avec un esprit nouveau et frais.
En revanche, les lumières en « spot » sur un personnage sont efficaces (Franck Evin), même si, à la énième fois, on se lasse tout comme les rideaux qui s’ouvrent et se referment à l’infini…

 

Dans l’ensemble, cette Carmen triomphe par la musique, notamment par la fosse qui nous régale de ses couleurs « nouvelles ». La distribution de grande qualité ne trouve pas son équivalent dans la mise en scène bien que celle-ci soit menée avec cohérence.

Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de suivre Carmen dans la Salle Favart, ils pourront l’occasion de forger leur propre opinion en regardant la diffusion sur Arte Concert à partir du 21 juin.

 

Gaëlle Arquez et Frédéric Antoun dans Carmen

Gaëlle Arquez (Carmen), Frédéric Antoun (Don José). Carmen, avril 2023 à l’Opéra-Comique © Stefan Brion

photos © Stefan Brion

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