Accueil ScènesSpectacles Nuit de Noël délicieusement macabre au Cabaret horrifique de l’Opéra Comique

Nuit de Noël délicieusement macabre au Cabaret horrifique de l’Opéra Comique

par Victoria Okada

Un grand succès parmi les « petits » programmes proposés par l’Opéra Comique, le Cabaret horrifique mis en scène par Valérie Lesort, filmé lors des représentations de juin dernier, a été diffusé sur TV5 Monde ce 25 décembre et visible sur le site de la chaîne.

Le spectacle a été présenté pour la première fois en 2018 à la salle Bizet, dans le cadre de « Porte 8 », dont le nom évoque l’adresse d’entrée : 8 rue Marivaux. Dans cette petite salle utilisée habituellement pour la présentation avant chaque soirée d’opéra, des concerts à format intime, ou encore des colloques, le Cabaret horrifique se jouait devant un public installé autour de tables rondes de café, les chanteurs se déplaçant de temps à autre parmi les spectateurs. Comme il est censé être un « cabaret », un verre de champagne est compris dans le prix du spectacle.
J’ai assisté à ce concert original lors de la reprise en mars 2019. La distribution n’a pas changé depuis le début : la soprano Judith Fa, le ténor Lionel Peintre et la pianiste Marine Thoreau La Salle.
La 2e reprise du spectacle a été présentée en juin dernier, après le premier confinement. Afin de respecter les règles sanitaires, on l’a déplacé à la Salle Favart (grande salle), et placé le public sur la scène.

Programme éclectique magnifiquement établi

© Victoria Okada (mars 2019)

Le fil conducteur de choix musicaux est résumé à une citation de Jacques Higelin, que l’on lisait sur le programme imprimé de la salle :

« Voici mon message
Cauchemars, fantômes et squelettes
Laissez flotter vos idées noires
Près de la mare aux oubliettes
Tenue du suaire obligatoire
Champagne ! »

Les partitions présentées sont très éclectiques : de Purcell, Haendel, Rameau et Lully, jusqu’à Boris Vian et Andrew Lloyd Webber, en passant par Schubert, Gounod, Saint-Saëns, Ravel, mais aussi Kurt Weill ou Marie Dubas, ou encore Marie Paule Belle (voir le programme en bas). Pour concocter un tel programme, il faut connaître un large répertoire, et de plus, savoir les combiner pour que cela tienne ! Cette idée ingénieuse est l’objet de mon premier émerveillement.

La mise en scène hilarante

La mise en scène a été réalisée par Valérie Lesort. Avec son compagnon Christian Hecq de la Comédie française, elle avait réalisé en 2018 sa première mise en scène d’opéra, Le Domino noir de Daniel-François-Esprit Auber (Opéra royal de Wallonie à Liège puis à l’Opéra Comique ; j’ai assisté à la première dans ces deux théâtres). Pour ce travail, ils ont obtenu le Grand Prix de la critique du meilleur spectacle lyrique 2018, décerné par le Syndicat professionnel de la Critique Théâtre-Musique-Danse (je rend ici hommage à Patrick Davin qui a dirigé cette production, décédé en septembre dernier à l’âge de 58 ans au Théâtre de La Monnaie, à Bruxelles, juste avant une répétition d’un opéra en création). En novembre 2019, le duo récidive avec Ercole Amante, opéra de Francesco Cavalli qui a recueilli un énorme succès, toujours à l’Opéra Comique. Entre-temps, elle a signé Petite balade aux enfers, adaptation drôle et compacte d’Orphée et Eurydice de Gluck pour public familial (reprise en 2020 avec Judith Fa). Toutes ses mises en scène sont marquées par un aspect hilarant, qui frôle parfois le burlesque.

Pour revenir au Cabaret horrifique, dans sa version originale, pour entrer dans la salle, éclairée par la lumière couleur sang, il fallait franchir une porte à laquelle un « cadavre » sanglant (porc ? bœuf ? ou mouton ?) était suspendu. On n’a pas vu la masse corporelle animale sur le film mais il était peut-être là. L’enchainement des pièces musicales semble rester le même mais pour le besoin de production vidéographique, le spectacle a été découpé en plusieurs séquences. Dans la Salle Favart, Valérie Lesort a exploré tous les espaces où elle prend successivement place. Elle n’incarne pas un personnage, mais crie, intimide, imite le corbeau, fait des bruits de feu, de cheval… C’est pourquoi, sur le crédit de la fin, elle est désignée comme « bruiteuse ». Elle joue ainsi un rôle clé qui assure, grâce à des idées inattendues, la continuité entre les pièces chantées. Une nouveauté : pour la chanson Nosferatu, Christian Hecq joue le rôle de vampire un peu bébête, pour le côté cocasse dont il fait toujours formidablement preuve. Tout cela est si bien pensé qu’on ne peut être qu’admiratifs et c’est là mon deuxième émerveillement.

Les chanteurs s’amusent

Les deux chanteurs assument parfaitement leurs rôles. Dans son incarnation délirante, Judith Fa devient une comtesse morte jeune. On ne sait pas dans quel malheur elle a terminé sa vie mais elle se venge de sa courte vie auprès de son pauvre ténor. Sa pianiste est, quant à elle, plusieurs fois victime de sa cruauté. Comédienne, elle va jusqu’à enfiler une robe moulante façon Broadway des années 1980 en plus grossie avec quelques mousses, pour chanter Le Fantôme de l’Opéra. Là, elle atteint un sommet de l’hallucination et se détache de loin, de très loin de son partenaire. Ancienne membre de l’Académie de l’Opéra Comique, elle a une excellente diction et une technique adaptée à chaque style ; quand la partition suggère une pleine projection lyrique, elle n’hésite pas à déployer son instrument, alors que pour d’autres répertoires (comédie musicale, cabaret…), elle réserve une voix moins lyrique tout en conservant son assise classique solide. Grâce à elle, je suis définitivement émerveillée par ce spectacle qui a paradoxalement plein de vie, l’aspect qui manque cruellement en ce temps de la pandémie !

On peut regarder ce film macabre en famille, sans modération. On peut en même temps écouter des musiques qui couvrent 300 ans d’histoire et c’est plus rassurant qu’un film d’horreur hollywoodien franchement et inutilement angoissant. Très bonnes fêtes à toutes et à tous.

Programme 

Jean Cras : Cinq Robaiyat – Serviteurs n’apportez pas les lampes
Georg Friedrich Haendel : Furie terribili (Rinaldo)
Marie Paule Belle : Nosferatu
Camille Saint-Saëns : La danse macabre
Maurice Ravel : L’air du feu (L’Enfant et les sortilèges)
Kurt Weill : Alabama song
Charles Gounod : Scène de l’église (Faust)
Boris Vian : Le tango des joyeux bouchers
Kurt Weill : Le grand Lustucru
Franz Schubert : Le roi des aulnes
Andrew Lloyd Webber : Le fantôme de l’Opéra
Marie Dubas : Le tango stupéfiant
Jean- Philippe Rameau : L’air de la Folie (Platée)
Jean-Baptiste Lully : Armide et Hidraot (Armide)
Henry Purcell : Air du Froid (King Arthur)

Représentations de juin 2020, à l’Opéra Comique (Salle Favart), Paris

Sur le site de TV5 Monde
Photo © Stefan Brion (sauf mention contraire)

Bonus : Dans la version précédente à laquelle j’ai assisté, on dansait Thriller de Michel Jackson comme bis, qui a été supprimé sur la vidéo, certainement à cause du droit d’auteur…

© Victoria Okada

 

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