Pour son premier disque, Florent Albrecht choisit l’intégrale des Nocturnes de John Field (1782-1837), inventeur du genre.
À la première écoute, nous sommes tout de suite séduits par la sonorité de l’instrument, ce timbre qui rappelle encore le clavecin. Si on laisse tourner le lecteur de CD sans prêter une attention particulière, on peut se dit que la musique ressemble à quelque chose comme du Chopin primitif. Mais dès que nous commençons à prêter l’oreille avec plus de conscience, cela va de découverte en découverte, jusqu’à changer notre perception sur ces compositions !
Un pianoforte viennois
Grande figure pré-romantique, Field a composé les Nocturnes qui ont considérablement influencé le jeu du pianoforte, instrument encore très présent à son époque.
Il utilise un pianoforte de Carlo de Meglio, un instrument construit à Naples en 1826 avec toutes les caractéristiques de pianoforte viennois, dominant dans toute l’Europe. Chopin, son successeur dans le genre, était habitué à la facture viennoise dans sa jeunesse, avant d’arriver à Paris. Quant au compositeur irlandais, à la fin de sa vie, il achève sa tournée à Naples, et il est très probable qu’il ait joué sur un instrument de Maglio.
Le choix est donc judicieux. Un tempérament inégal, un diapason plus bas que 440, et quelques « défauts » dus au fait que la restauration par Ugo Casiglia en 2004 se limitait au minimum afin de préserver l’instrument, participent à des jeux que notre interprète tente de réaliser par une approche pré-chopinienne alors que de nombreux pianistes partent du compositeur polonais.
Un parti pris
Ainsi, la plupart des enregistrements parus jusqu’à maintenant proposent des interprétations romantiques. L’approche de Florent Albrecht est le contraire. Il souhaitait « restituer autant que faire se peut une « manière » dont les Nocturnes de Field devaient exister », écrit-il dans le livret. Il parle de « rhétorique musicale », la tradition qui imprégnait John Field. À chacun de comprendre cette rhétorique, et celle de notre claviériste s’exprime par bien des éléments :
À commencer par la pédale « d’atmosphère » — non en fonction de l’harmonie — pratique courante de l’époque, fortement liée à ce type de pianoforte. Florent Albrecht introduit discrètement ça et là des rubati subtils et naturels mais perceptibles. Le choix du tempo pour chaque pièce semble juste, sans qu’un seul morceau souffre d’une lenteur qui, dans certains autres enregistrements, fait inutilement tomber ces pièces dans un sentimentalisme. Il est également à noter qu’il organise ces pièces par leurs tonalités et non par l’ordre du numéro d’œuvre établis par Liszt dans son édition.
Spécificité interprétative à chaque pièce
Il spécifie l’interprétation dans chaque pièce, ainsi, deux pièces ne ressemblent jamais l’une et l’autre, alors que les partitions sont objectivement assez ressemblantes.
La légèreté de notes rapides élégamment jouées dans le 4e en la majeur ; le début mystérieux du 11e en si bémol majeur, une fluidité oscillante du 5e en si bémol majeur, un chant et son accompagnement belcantiste du 16e en fa majeur, la liberté de la main gauche privilégiant la ligne mélodique dans la 1er Nocturne en mi bémol majeur, pour qui il choisit justement un tempo assez allant… et surtout, un op. Posth en si bémol majeur inédit, retrouvé par le pianiste à la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg, où la fameuse pédale d’atmosphère charme avec un flou aérien… Tout incarne la grâce et délicatesse.
Ce disque, qui continent autant de réflexions mûries, reste malgré tout simple et procure un adoucissement.
1CD Hortus HORTUS197. Enregistré au Château de Montgeroult (?), dates de l’enregistrement non renseignés. Durée : 65’14.
* Le livret précise que « la version non inédite de l’opus posthume et le Nocturne VII sont uniquement disponibles en streaming », mais aucune plateforme que nous avons consultée ne propose ces pièces.