Au Studio Hébertot, le pianiste et comédien Guilhem Fabre incarne Romain Rolland et livre les dernières réflexions de l’écrivain imaginées par Michel Mollard. Dans les pensées du prix Nobel de la littérature de 1915, la musique joue un rôle essentiel. Ainsi, les mots prononcés par un véritable musicien revêtent un sens particulier.
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Romain Rolland : « Conscience » du monde occidental et musicologue
Il y a quelques décennie, le nom de Romain Rolland résonnait encore dans l’esprit des gens soucieux de l’avenir de l’humanité. Des générations de jeunes lecteurs dévoraient avec passion l’aventure du jeune apprenti musicien et un double de Ludwig van Beethoven dans son roman Jean-Christophe. Aujourd’hui « passées de mode », ses œuvres ne figurent hélas plus dans des collections ou des dictionnaires de littérature mondiale. Pourtant, ses réflexions hautement philosophiques (amitiés avec Gandhi et Tagore, correspondances avec Herman Hesse, Stephan Zweig, Richard Strauss, Louis Aragon…), sa conviction pour un monde pacifique (Au-dessus de la mêlée, 1914 ; présidence au Comité mondial contre la guerre et le fascisme), sa conscience et sa croyance en l’esprit humain (Déclaration de l’indépendance de l’esprit, 1919) sont plus que jamais d’actualité. Il plaçait son espoir dans la musique qu’il considérait comme fédératrice des esprits (nombreux ouvrages sur la musique et compositeurs, comme Beethoven) ; son rôle fut déterminant pour que la musicologie gagne sa place en tant que discipline scientifique à part entière. Ainsi, sa thèse sur le théâtre lyrique moderne est considérée comme les premiers travaux musicologiques en France. Il fut par ailleurs l’organisateur du premier congrès d’histoire de la musique à Paris en 1900.
Guilhem Fabre incarne Romain Rolland
Le spectacle Dernières notes livre l’essentiel des réflexions de penseur universel et résume sa vie intellectuelle. Dans le texte de Michel Mollard, auteur et organisateur de concerts classiques, Guilhem Fabre incarne Romain Rolland mieux que quiconque, non seulement pour sa qualité de pianiste et de comédien, mais aussi pour ses actions qui pourraient être une concrétisation moderne des idéaux du prix Nobel de la littérature de 1915. En effet, dans son projet uNopia, il emmène le piano dans son carmion-scène à des lieux où la musique est rare ; dans son récital à la Salle Gaveau en février dernier (lire notre critique ici), il a invité le chœur de femmes Music Chain for Ukraina qui s’est produit pour la première fois en public après seulement 4 mois de répétition. Ainsi, notre jeune pianiste croit à la capacité humaine et au pouvoir de la musique, tout comme Romain Rolland.
La pièce s’ouvre avec des cloches de la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay*, le soir de Noël 1944. Son épouse Masha part pour la messe de minuit. Il descend l’escalier qui l’amène de sa chambre au salon. Là, un piano demi-queue (un Érard ?), un vieux fauteuil en cuir, une table basse, une lampe et quelques livres symbolisent son univers intérieur. Puis, il commence à exposer ses réflexions, notamment sur la figure de Jésus qui, selon lui, n’est pas le seul à parler Dieu. Il évoque Claudel, Zweig, Goethe, Peguy… La mise en scène de François Michonneau est simple et modeste, mais concrétise en peu de mouvements la densité des pensées de l’écrivain. Et finalement, ses pensées s’arrêtent à la vie de Beethoven, dont Guilhem Fabre joue d’abord des fragments de sa dernière Sonate, entre quelques idées énoncées. Puis, il enlève les livres posés sur le piano, ouvre le couvercle, et interprète entièrement l’opus 111. L’œuvre est un véritable voyage initiatique, des interrogations jusqu’à l’apaisement de l’âme. Les paroles qui ont précédées réaparraissent musicalement, condensées.
Les cloches retentissent de nouveau, c’est la fin de la messe. Romain Rolland monte le même escalier, éclairé par une lumière intense. Sa dernière soirée, en compagnie de son cher ami Beethoven, prend ainsi fin.
Voilà un bel hommage à un homme qui a intensément vécu.
Représentation du 3 septembre 2023.
Dernières notes
Texte : Michel Mollard
Avec : Guilhem Fabre
Mise en scène : François Michonneau
Studio Hébertot, jusqu’au 22 octobre 2023, du jeudi au samedi à 19h, le dimanche à 17h.
Renseignements et réservations : www.studiohebertot.com, 01 42 93 13 04
* Aujourd’hui s’y trouve le siège de la Cité de la Voix (Centre national de l’art vocal) qui organise notamment les Rencontres Musicales de Vézelay chaque année. Lire nos 3 comptes rendus du Festival de cet été sur Crescendo Magazine.