L’Opéra royal de Wallonie-Liège remet à l’honneur une œuvre rare : Il cappello di paglia di Firenze de Nino Rota. Inspiré de Un chapeau de paille d’Italie d’Eugène Labiche et Marc-Michel, cette « face musicale » pétillante en quatre actes se révèle un spectacle d’une remarquable vivacité, mené avec un sens du rythme irrésistible. Un pur plaisir de théâtre musical.
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Nino Rota, compositeur d’opéra
Si Nino Rota demeure surtout célèbre pour ses musiques de films composées pour Federico Fellini, il fut avant tout un musicien complet, profondément attaché à l’idée d’une musique accessible. Né dans une famille de musiciens, il côtoie très tôt des figures telles que Puccini, Ravel ou Stravinski. Il dirigera le Conservatoire de Bari pendant une trentaine d’années, période durant laquelle compte un étudiant nommé Riccardo Muti.
Il cappello di paglia di Firenze est son troisième opéra. Créé en 1955, il est toutefois conçu dès l’immédiat après-guerre, en 1945. Nino Rota en signe lui-même le livret avec sa mère Ernesta, à partir du vaudeville de Labiche et Marc-Michel, en utilisant son talent en tant que diplômé de littérature à l’université de Milan. L’intrigue repose sur une succession de situations aussi invraisemblables qu’hilarantes : le jour de son mariage, le cheval de Fadinard dévore le chapeau de paille d’Anaïde, en rendez-vous galant avec son amant. Or ce chapeau est un cadeau de son mari jaloux. Fadinard doit donc en retrouver un identique, déclenchant une course effrénée à travers Paris, suivie par l’ensemble du cortège nuptial.
La musique de Nino Rota opère un savant mélange entre lyrisme traditionnel et écriture évoquant la musique de film. Les contrastes entre passages rapides et moments plus suspendus sont agencés avec finesse : des moments calmes, placées à des endroits stratégiques, rendent le déroulement de l’action d’une grande fluidité. L’ouverture, construite sur une profusion de petites notes — notamment associées aux modistes — semble ne jamais véritablement se poser. Elle apparaît rétrospectivement comme l’image fidèle de l’œuvre tout entière : un mouvement perpétuel.
Damiano Michieletto compose une mise en scène alerte, constamment en mouvement
En parfaite adéquation avec la partition, la mise en scène de Damiano Michieletto impressionne par son énergie constante, sans jamais nuire à l’intelligibilité du propos, même dans les moments les plus effrénés. La scénographie de Paolo Fantin, faite d’éléments mobiles et de portes qui révèlent ou dissimulent les personnages, alliée aux lumières de Luciano Novelli, permet une direction d’acteurs d’une précision remarquable. Aucun temps mort : tout repose sur un sens aigu du timing, réglé comme un ballet.
La fluidité du récit scénique se prolonge dans les déplacements à vue des murs mobiles, opérés par des figurants incarnant invités du mariage ou domestiques. Le plateau tournant, en exposant successivement les personnages dans leurs situations respectives, suggère subtilement leur état psychologique du moment. La caractérisation très marquée des personnages, frôlant parfois la caricature, maintient l’opéra dans un état d’alerte permanent, sans jamais lasser. Damiano Michieletto parvient ainsi à ajuster l’énergie du plateau à celle du public : malgré la frénésie ambiante, l’élégance demeure, et la vulgarité n’a jamais droit de cité.
Un plateau vocal équilibré et de grande qualité
La distribution, très homogène, réunit des chanteurs parfaitement à l’aise dans le jeu comique, condition indispensable à la réussite de l’ouvrage. La vitalité de Ruzil Gatin en Fadinard est communicative. Ce ténor lyrique à la voix solaire brille notamment dans son air destiné à séduire la baronne de Champigny afin d’obtenir le chapeau : une parodie savoureuse du grand opéra verdien ou puccinien. Maria Grazia Schiavo incarne Elena, la future épouse, avec une voix claire et rayonnante. Elena Galitskaya campe une Anaïde à la fois nerveuse et coquette, fausse ingénue aux couleurs vocales changeantes. Le timbre sensuel et dense de Josy Santos sied idéalement à la Baronne de Champigny, fière et sûre d’elle dans la mondanité.
Le rôle de pur vaudeville de Beaupertuis, mari trompé d’Anaïde, est interprété par Marcelo Rosiello : le baryton compose un macho jaloux, modelant le personnage avec une voix de caractère qui emporte l’adhésion du public. Pietro Spagnoli prête sa voix à Nonancourt, père d’Elena, pour qui l’ordre prévaut sur toute chose ; il assume pleinement la raideur du personnage, ce qui en accentue le comique. Rodin Pogossov (Emilio), Didier Pieri (oncle Vésinet), Lorenzo Martelli (Felice), Blagoj Nacoski (Achille et le garde) et Marc Tissons (le caporal de la garde) complètent efficacement la distribution, aux côtés de Elisa Verzier, modiste à la voix riche et ample.
À la tête de l’orchestre de l’Opéra royal de Wallonie-Liège, Leonardo Sini dirige avec une maîtrise indéniable. Sous sa baguette, la mécanique comique fonctionne à merveille, chaque détail de la partition restant parfaitement lisible, dans une approche qui privilégie l’unité musicale à l’élan théâtral. Le chœur participe pleinement à cette dynamique, notamment dans la scène des modistes, dont la mélodie foisonnante, déjà entendue dans l’ouverture, s’inscrit comme l’un des fils conducteurs de l’œuvre.
Rarement repris, Il cappello di paglia di Firenze trouve à Liège une incarnation idéale : une mise en scène d’une précision jubilatoire, une distribution engagée et une direction musicale alerte rendent pleinement justice à l’inventivité théâtrale et musicale de Nino Rota. Un opéra bouffe mené tambour battant, aussi brillant qu’intelligemment maîtrisé.
Crédits photos © J. Berger-ORW Liège
Représentation du 23 novembre 2025.





