Accueil ScènesSpectacles Le puissant diptyque La Voix Humaine – Point d’orgue au Théâtre des Champs-Elysées

Le puissant diptyque La Voix Humaine – Point d’orgue au Théâtre des Champs-Elysées

par Victoria Okada

Formidable tension permanente dans la partition de Thierry Escaich

La musique d’Escaich est en parfaite phase avec cette théâtralité, si elle n’est plus forte que la dramaturgie. La musique illustre avec virtuosité la descente infernale de Lui, piégé par L’Autre, par une tension constante et une obstination acharnée. Elle a ainsi quelque chose de chaotique, malgré une parfaite organisation des notes grâce à des procédés très savants. Par exemple, le compositeur parle de l’utilisation de clusters aigus comme des « acouphènes exprimant l’obsession et l’enfermement de Lui » ; des « superpositions de groupes instrumentaux pour rendre les plans simultanés de l’action ». Le même orchestre que celui de Poulenc, excepté l’ajout du clavecin, se transforme de manière impressionnante pour devenir plus dense, plus varié, plus extrême. Une gigantesque énergie désespérante et sans fin jaillit, toujours en grandissant, alors que tout à la fin, l’apaisement, tant sur le plan sonore que celui de l’atmosphère, vient pénétrer toute l’œuvre comme un rayon de lumière salvatrice. Symbolisant la force d’Elle libérée, le contraste avec tout ce qui précédait est absolument saisissant.

La Voie humaine – Point d’orgue
Direction musicale : Jeremie Rhorer
© Vincent Pontet

La Voix Humaine
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
© Vincent Pontet

Les interprètes profondément investis

À la tête de l’Orchestre national Bordeaux-Aquitaine, Jérémie Rhorer, dont on souvient toujours la direction des Dialogues des Carmélites (mise en scène de’Olivier Py avec Patricia Petibon) et de Claude (musique de Thierry Escaich, mise en scène de’Olivier Py), manie avec brio les plans sonores complexes d’Escaich aussi bien que la partition disparate de Poulenc. La limpidité de l’interprétation augmente paradoxalement le gouffre sonore, un chaos savamment organisé. L’orchestre est disposé dans la fosse surélevée au niveau du parterre mais aussi sur la moitié de celui-ci débarrassé de sièges, où sont également installées les caméras de captation. Cette disposition modifie bien évidemment l’équilibre sonore dans la salle, entre la scène et la fosse élargie. Conçus pour l’enregistrement, l’orchestre et le chant retrouveront, espérons-le, un bon rapport dans la diffusion radiophonique et en vidéo.

Patricia Petibon suscite une réelle admiration pour sa performance — et c’est une vraie performance ! — vocale et théâtrale. Elle fait montre de toutes les couleurs et tous les timbres pour exprimer différents degrés de détresse imaginés par Poulenc. Dans Escaich, elle déploie ces variations expressives dans des spectres encore plus larges, comme si elle mettait à nu la nature humaine, de la plus sombre à la plus sereine. Sa voix, frémissante, inquiétante, tremblante, mais aussi espiègle, heureuse, ou apaisée, s’adapte merveilleusement à chaque moment du drame. Jean-Sébastien Bou est un Lui esclave de son instinct, à la fois puissant et impuissant. Il incarne si bien son rôle qu’on éprouve même un sentiment de pitié pour Lui, preuve qu’il fait vivre véritablement le spectacle ! Même quand son personnage est dans l’épuisement, il a une voix toujours tenante, extrêmement solide, fidèle à son art. Cyrille Dubois est tout simplement surprenant à la fois par sa virtuosité et par le lyrisme qu’il dose subtilement. Ces notes d’une difficulté redoutable, il sait les assimiler avec élégance ; il y a toujours quelque chose de noble dans son chant. Le découvrir dans un rôle aussi inhabituel à son répertoire nous réjouit, car cela nous permet de dépasser l’idée que nous avons forgée sur sa personnalité vocale, ouvrant au spectateur une perspective plus grande.

Point d’orgue – Jean Sebastien Bou et Cyrille Dubois © Vincent Pontet

C’est un spectacle saisissant dont nous espérons vivement la reprise dans les conditions normales de théâtre lyrique.

La Voix humaine / Point d’orgue : diffusion sur France Musique le 27 mars à 20h pour clôturer la semaine « Action ! Création ! », et en VOD en avril.

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