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L’Orchestre de Paris reprend du service avec Stanislav Kochanovsky et Alexandre Kantorow

par Victoria Okada

Les 26 et 27 mai, l’Orchestre de Paris a repris du service devant le public de la Philharmonie de Paris, avec deux concerts au même programme (mercredi et jeudi), fidèle à sa tradition.

 

La salle respire de nouveau et son environnement sonore se réinstalle aussitôt, y compris des bruits d’objets qui tombent et des sonneries de téléphone intempestives ! En revanche, on entend très peu de toux. C’est ce qu’on constate généralement depuis la réouverture de lieux culturels, dans n’importe quelle salle de spectacle. Les auditeurs sont absorbés par la musique qui vibre pour de vrai et étanchent leur soif à chaque instant. Ainsi, la simple apparition des artistes fait surélever d’un bond la sensation de soulagement, après une attente qui a trop duré.

Dans une concentration extraordinaire, Alexandre Kantorow fait de son lien organique avec l’instrument son arme

Un petit coup d’œil pour vérifier qu’Alexandre Kantorow s’est bien installé, et Stanislav Kochanovsky fait sonner sans plus attendre les premières notes du Concerto pour piano n° 2 en sol mineur op. 16 de Prokofiev, comme il le fait à chaque mouvement.
La concentration du pianiste est extraordinaire, dans le sens primaire du mot : extra-ordinaire. Il entre immédiatement dans sa bulle musicale et ne vit chaque instant que pour la musique, que pour exprimer son univers. À aucun moment, il ne relâche rien. S’il se détend de temps à autre, c’est pour apprécier la beauté de la musique que l’orchestre lui offre, et à ce moment-là, l’attendrissement se dégage de tout son être. Au cours du premier mouvement où les accords denses et massifs font légion, il produit ces son en profitant au maximum des mouvements des bras : il fait envoler ceux-ci dans un lancé qui va de pair avec ses phrasées, puis les faire « atterrir » sur le clavier, par une chute dont la vitesse est accélérée par le poids gravitationnel des bras, ce poids que les doigts fins mais solides transmettent directement aux marteaux. Ce lien organique — presque biologique — avec l’instrument, il en fait son arme. L’arme que très rare d’artistes maîtrisent avec autant de perfection. Mais pour projeter le son massif comme il le réalise généreusement, il faut une énergie et une volonté qui permettent de propulser le piano au rang de l’orchestre tout entier, comme l’exige la partition. Cette énergie, il l’a de manière intrinsèque. Tel un magma, elle « bouillonne » à l’intérieur, dans le sous-terrain, au fond de l’océan, entre les lignes de la partition. Et ce sont ces « entrelignes » que fait entendre Kantorow. C’est pourquoi, au milieu de chaîne d’accords rocheux, il réussit à faire émerger le thème avec un lyrisme étonnant, comparable à une petite fleur gracieuse sur des canyons rugueux.

Dans le Scherzo et l’Intermezzo qui suivent, les accents percussifs bondissent ça et là dans un flot de notes rapides ; des aigus tantôt métalliques tantôt caressants jusqu’aux graves grouillants, en passant par le médium à timbres changeants, il parcourt le clavier avec une liberté absolue ; des glissandi légers, les notes avec un noyau aiguisé… Tout cela contribue à montrer l’éblouissant dans la noirceur, l’éclatant dans l’oppressant. Le finale est bondissant à souhait, on a l’impression d’assister à une scène de course infernale dans un film de thriller noir. Le piano et l’orchestre luttent en permanence, d’égal à égal. L’énergie d’Alexandre Kantorow que l’on a déjà ressentie dans le premier mouvement s’intensifie de plus belle et nous sommes éberlués devant le flux incessant de force et de musicalité dont il fait preuve, certes à chaque concert, mais que cela est particulièrement intense ce soir-là. Nous n’étions visiblement pas les seuls pour ressentir cela, les cris fusaient de toute la salle dès la dernière note, puis à chaque salut du jeune pianiste, des gémissements se déferlent, telle des grondements de vagues. Ainsi, le Kantorow a littéralement soumis toute la salle sous son autorité musicale exceptionnelle.

La direction intelligible de Stanislav Kochanovsky

Heureusement, Stanislav Kochanovsky, né en 1981 à Saint-Petersbourg, est un de ces chefs d’orchestre qui ne s’effacent pas devant un tel talent. Il a déjà fait sensation en remplaçant Tugan Sokhiev à la tête de l’Orchestre de Paris en octobre dernier. Il s’exprime lui aussi de tout le corps, ses membres dansants sont en parfaite adéquation avec la musique qu’il fait sonner sans aucune gestuelle superflue ni superficielle. Ses indications sont intelligibles même du dos, quand on le regarde depuis la salle. La complicité qu’il a su créer avec les musiciens et le soliste est évidente, comme l’a montré également dans Shéhérazade de Rimski-Korsakov. Dans l’œuvre du compositeur russe, il fait ressortir toutes les qualités de chaque pupitre : des motifs mélodiques aux mille couleurs, des combinaisons variées de timbres, des nuances délicates aussi bien que des tutti virils. Il gère admirablement la tension pour des montées symphoniques, magistrales, alors que les moments de douceur sont absolument exquis. Pour la partie solo du violon, plutôt que d’insister sur la sensualité, Eiichi Chijiiwa joue avec la fragilité du son jusqu’à une légère rupture. Ses notes sont ainsi parfois subtilement hautes et nerveuses, qui crée de grands contrastes avec la partie orchestrale dynamique et kaléidoscopique.

Stanislav Kochanovsky conte une histoire avec ses mains (il dirige sans baguette) et son corps, et son conte est si vivant qu’en écoutant cette suite symphonique, on imagine facilement les scènes se dérouler devant nos yeux ! Un chef à suivre aussi attentivement que possible.

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